Réflexions pour après

Les événements de ces dernières années et la crise du coronavirus soulèvent des questions relatives à la politique, au système économique, aux inégalités qui sont liées et auxquelles il faudra répondre dans l’après.

Au plan politique, face à des problèmes complexes comme l’équité ou la fragilité de l’environnement, les citoyens veulent exprimer leur opinion sur ce qu’il faut faire et la manière de le faire et, bien sûr, être écoutés. Dans les cas d’urgence comme une pandémie mortelle, ils attendent de l’État une présentation franche des incertitudes et des difficultés à surmonter, puis la définition de politiques claires, validées par le parlement et mises effectivement en œuvre. Dans les deux cas, cela suppose un minimum de confiance entre gouvernement, élus et citoyens, confiance qui se recrée pour un temps après chaque élection majeure et qui ne peut se maintenir qu’en organisant plus systématiquement un dialogue régulier et audible entre citoyens, institutions et autorités politiques pour murir et valider les décisions.

Le système économique, mis en cause par de nombreux auteurs pour les inégalités qu’il crée et la détérioration de l’environnement l’est aujourd’hui pour la pandémie en cours.

On peut en effet attribuer aux excès de la libéralisation, la privatisation d’une partie des systèmes de santé et la dépendance du monde à la Chine pour les approvisionnements en médicaments, matériel médical  et masques. Les États, dont le rôle est de veiller à l’intérêt général, se sont laissé dominer par les plaidoyers pour la dérégulation et ont cédé à la facilité des partenariats publics privés, à la loi toute puissante des marchés et, aussi, à des intérêts particuliers.

Ce constat devrait conduire à ne pas vouloir retrouver les habitudes et pratiques d’avant le covid’19, mais à construire un monde plus solidaire et durable ce qui demande que les États exercent pleinement leur rôle fondamental qui est de rechercher le bien commun et d’assurer les services publics (paix, sécurité, éducation, santé, indépendance et respect de la justice).

La financiarisation de l’économie était largement responsable de la crise de 2008. Les réglementations mises en place ou envisagées afin que les banques et fonds investissent davantage dans l’économie réelle n’ont pas tenu. Les États auront à reprendre le contrôle du système financier.

Sur le plan des échanges commerciaux, il ne s’agit pas d’envisager un repli sur soi à la limite suicidaire(1). Tous les pays sont interdépendants, en particulier pour les matières premières et les technologies. L’autarcie n’aurait aucun sens et augmenterait considérablement les coûts, mais dans les domaines vitaux, il serait sage de limiter les taux de dépendance ce qui peut vouloir dire des relocalisations et, dans le domaine de l’alimentation de privilégier les circuits de distribution courts ou, plus généralement, de reprendre les débats sur les moyens d’assurer la sécurité alimentaire en la liant aux impacts environnementaux.

Pour l’environnement, aussi, les pays sont interdépendants – les pollutions comme les virus ne connaissent pas les frontières – et des accords internationaux sont indispensables. Toute mesure qui sera prise pour réduire les émissions de CO2 ou préserver la biodiversité affectera chacun dans sa manière de produire, de consommer, de vivre. C’est dire qu’il faudra beaucoup de concertations nationales et internationales entre les autorités, les citoyens et les professions. La pandémie a établi des liens entre la détérioration de l’environnement et le virus, l’opposition des lobbys et de certains États au Pacte Vert proposé par la Commission européenne est un signe que l’après risque d’être comme l’avant. C’est grave.

Le numérique a, pendant le confinement, maintenu des liens familiaux et sociaux et permis la poursuite de la scolarisation et de nombreuses activités professionnelles. Cela n’empêche pas, alors qu’il va se développer plus encore, de s’attaquer aux questions qu’il pose dans le monde entier pour les libertés individuelles, les relations humaines, la sécurité nationale et celle des entreprises sans oublier ses besoins en énergie, l’addiction aux écrans qu’il engendre et aussi le danger pour la démocratie de la puissance des GAFAM(2) face aux États(3) .

« Pour le futur, l’équité impose que les revenus du travail nets d’impôt reflètent mieux l’utilité sociale du travail effectué »

La solidarité et le dévouement des infirmières et de tous ceux qui exercent des métiers mal rémunérés dont on ne parle guère ont permis à la société de tenir. Pour le futur, l’équité impose que les revenus du travail nets d’impôt reflètent mieux l’utilité sociale du travail effectué. Elle demande aussi de reconnaître que nombreux parmi ceux qui exercent ces métiers mal rémunérés sont des migrants avec ou sans papiers qu’il est indigne de stigmatiser et de vouloir renvoyer.

Il y a bien matière à beaucoup de concertations et négociations tant nationales qu’internationales.   À chacun d’y participer, sans jamais oublier qu’avec nos interlocuteurs, voire nos adversaires, nous partageons un socle commun de valeurs en tant qu’habitants de la terre, en tant que personnes vivant dans un même pays ou un même village, faute de quoi nous risquons de ne parvenir qu’à attiser nos divisions.

  1. Par analogie, on lira avec intérêt L’herbe rouge de Boris Vian où les craintes d’une mère pour ses enfants l’amène à les protéger de plus en plus, si bien qu’elle finit par les enfermer dans des boîtes tapissées de coton où ils étouffent.
  2. GAFAM : Google, Amazone, Facebook, Apple, Microsoft
  3. Marc DUGAIN, Transparence, Gallimard, 2019

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Yves Berthelot, ancien sous-secrétaire-général des Nations-Unis et membre du conseil de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT)

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