Dans un monde où l’individualisme semble guider les ambitions comme les contestations, le « bien commun » peut paraître une abstraction sur laquelle nous n’avons aucune prise. Et pourtant il est possible et vital d’y contribuer.
Une approche patrimoniale et statique des biens communs est de les considérer comme l’ensemble des dons de la nature ainsi que des savoirs et des biens publics accumulés par l’homme au cours du temps. Les dons de la nature sont l’air, l’eau, la beauté des paysages, les minéraux, la faune et la flore, et les multiples services qu’elle rend en pollinisant les fleurs, en absorbant le gaz carbonique … Les savoirs sont le résultat des recherches, les pratiques façonnées par l’expérience, l’art de gouverner et de gérer … Les biens publics sont la paix, la sécurité, les institutions, les services public, les parcs et bâtiments publics, les équipements tels que les canaux et les réseaux routiers téléphoniques, ferroviaires, électriques et gaziers, Internet.
Cette liste éclaire autant qu’elle pose de questions. Tout d’abord, il faut préciser le sens du qualificatif « commun » qui signifie ici à la disposition de tous et accessible à tous. Les économistes parlent de biens non exclusifs, c’est à dire que chacun a droit à y accéder, et non rivaux, c’est à dire que la consommation ou l’utilisation d’un de ces biens par un individu n’en prive pas les autres. On pourrait s’interroger, à propos de l’accès aux savoirs, sur les limites à apporter au droit de propriété intellectuelle, particulièrement dans le domaine des médicaments et du brevetage du vivant. On peut également se demander que faire quand, par exemple, à cause de la surpêche les poissons deviennent rares ou que l’accès aux villes est bloqué par des embouteillages. Une réponse possible est d’instaurer des quotas de pêche ou des péages urbains, risquant ainsi d’introduire une discrimination par les prix. Une réponse plus éthique serait de faire appel à la responsabilité de chacun dans l’usage du bien commun.
« Dans quel monde, dans quelle société voulons-nous vivre ? »
On le voit, l’héritage est fragile car certains de ses éléments sont d’accès difficile ou menacés par la surconsommation. Mais il y a plus préoccupant. Si l’usage fait des recherches et le travail des générations ont conduit à de remarquables progrès pour tous, le monde dont nous héritons est loin d’être parfait. La pollution de l’air et des eaux est quasi générale, le réchauffement climatique est pour une grande part le résultat de la manière dont nous produisons et utilisons l’énergie ; les institutions créées n’ont pu éviter les guerres, l’excès des inégalités ou les violations des droits, les sociétés nationales et la société mondiale sont fracturées. Cela pose la question de savoir dans quel monde, dans quelle société nous voulons vivre.
Il serait vain de se lancer dans la construction d’une société idéale où, comme le dit Jean TIROLE « les citoyens, les travailleurs, les dirigeants du monde économique, les responsables politiques, les pays privilégieraient spontanément l’intérêt général au détriment de leur intérêt personnel » et dangereux de croire que l’État puisse faire le bonheur des gens malgré eux sans prendre en compte leurs motivations ou leurs comportements ce qui « a mené par le passé à des formes d’organisation de la société totalitaires et appauvrissantes[1]. »
Il importe donc que les personnes aient leur mot à dire sur la société dans laquelle elles vivent et les biens communs auxquels ils sont le plus attaché. Les élections démocratiques donnent des orientations, mais ne se jouent pas sur la réalisation concrète du bien commun. C’est plutôt au niveau des institutions que les citoyens peuvent influencer la construction du bien commun. Une des fonctions principales des institutions est, en effet, de concilier « autant que faire se peut l’intérêt individuel et l’intérêt général[2] » et ces institutions évoluent sous l’influence des idées et du fait de leur interaction avec leurs utilisateurs. Ainsi, le dialogue entre organisations de la société civile et nombre d’institutions a-t-il fait évoluer les unes et les autres. C’est visible notamment dans le cas de l’ONU qui joue un rôle essentiel dans la recherche du bien commun au niveau mondial.
Au delà de ses votes et de ses interactions avec les institutions, chacun joue un rôle dans la recherche du bien commun. Adam SMITH considérait dans La richesse des nations, 1776, que, en poursuivant son intérêt propre chaque individu servait le bien commun[3] avant de reconnaître dans Additions et Corrections, 1784, que humilité, justice, générosité et esprit public étaient un apport important des individus. Dans le contexte actuel où les différences font peur, il faudrait ajouter aux vertus prisées par Adam SMITH une ouverture à l’altérité. Altérité au niveau individuel, c’est-à-dire l’acceptation que, par delà leurs différences, « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit[4] » et, au niveau collectif, reconnaître que toutes les cultures participent de notre commune humanité. Autrement dit, pour les nations comme pour les individus la recherche du bien commun est de la responsabilité de chacun et passe par un effort collectif.
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- Jean TIROLE, Economie du bien commun, PUF, Paris 2016
- Jean TIROLE, ibid.
- Adam SMITH in La richesse des Nations, 1776 La phrase originale est “In competition, individual ambition serves the common good”.
- Article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
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Yves Berthelot, rédacteur des SSF