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Dossier La Tribune du Christianisme social
D’aucuns ont pu reprocher à la hiérarchie catholique sa frilosité à l’encontre du Front national. Rien de tel dans le discours du pape François prononcé au Faro le 22 septembre dernier à l’occasion de la 3e rencontre de la conférence des églises méditerranéennes(1) . Même si c’était attendu après les événements dramatiques survenus dans l’île de Lampedusa quelques jours auparavant, le pape s’est livré à un véritable « affrontement chrétien » selon les termes du philosophe Emmanuel Mounier, contre les nationalistes et populistes de tout poil.
A ceux qui préconisent l’immigration zéro : « La solution n’est pas de rejeter mais d’assurer selon les possibilités de chacun un grand nombre d’entrées légales et régulières durables (…) ». À ceux qui se refusent à toute forme de régularisation par crainte de l’appel d’air : « Engageons-nous pour que ceux qui font partie de la société puissent devenir des citoyens de plein droit. » A ceux qui dénoncent l’invasion et la crise : « Ceux qui se réfugient chez nous ne sont pas des envahisseurs, ils ne doivent pas être considérés comme un fardeau à porter ; si nous les considérons comme des frères, ils nous apparaîtront comme un don ».
Mais ce n’est pas faire injure au pape François que de s’interroger sur la réception de son discours. Il aura certes contribué à délégitimer la propagande du nationalisme et du repli. Mais aura-t- il su encourager cette majorité de nos concitoyens et des Européens qui ne sont pas tétanisés par la peur et ne considèrent pas avec indifférence la multiplication des morts en Méditerranée(2) . Ils s’inquiètent en revanche, et cette inquiétude est légitime, d’une absence de maîtrise des entrées. Leur caractère irrégulier reste un défi pour les services publics, met à mal, à l’évidence, la cohésion sociale en alimentant pour une grande part la montée des partis populistes. En affirmant que « Adorer Dieu et servir le prochain, voilà ce qui compte : non pas la pertinence sociale ni l’importance numérique. » le Pape ne place-t- il pas la barre un peu-trop haut, lui qui au début de son pontificat mettait en garde les clercs dont les exigences morales et spirituelles placées trop haut justement, avaient pu décourager les croyants aux périphéries de l’Eglise ?
A l’inverse, l’un des propos du pape au Pharo, prenant du recul, me semble apporter une vision qui devrait servir d’appui à une véritable stratégie migratoire de l’Union européenne : »Le phénomène migratoire n’est pas une crise momentanée propre à alimenter les propagandes alarmistes mais un fait de notre temps ,un processus qui engage trois continents et qui doit être géré avec une sage prévoyance avec des responsables européens capables de faire face aux défis objectifs ». Voilà qui en effet devrait être une feuille de route pour les Européens ensemble avec les pays du sud, allant d’ailleurs bien au-delà de ce qui est actuellement visé par le « Pacte migratoire européen » en cours de négociation.
D’une certaine manière les sociétés des pays d’accueil sont dans la situation du fils aîné de la parabole du « fils prodigue » (Luc 15, 11-32), parabole insuffisamment évoquée lorsqu’on aborde les sujets de migrations et de populisme. À l’image du fils aîné, les sociétés sont déstabilisées par l’accueil inconditionnel réservé à celui qui n’a pas peur d’abuser de la miséricorde du père. Il leur faut rentrer dans l’incommensurable de la Charité, ce qui veut dire l’éprouver aussi pour elles-mêmes. À ce fils aîné le père lui-même répond en l’assurant de sa pleine participation à la même miséricorde et de l’affection totale dont il jouit lui aussi, ce type de message qui manque, me semble-t-il, dans le discours du Pharo.
Mais sans doute faut-il replacer le discours du pape François dans la totalité du voyage du pape jusqu’à l’extraordinaire célébration eucharistique qui s’est tenue ensuite au stade Vélodrome en présence de 65 000 personnes. Ensemble le Pape et la population marseillaise, les supporters de l’OM déployant leur immense effigie de François, les prêtres ovationnés à chaque vague de la ola, ont-ils vécu ici un moment de communion comme il en est peu dans l’histoire d’un peuple et de l’Eglise. Ils nous ont donné une véritable leçon de cosmopolitisme et d’espérance, un magnifique encouragement pour le fils ainé et, surtout, il nous a obligé à le suivre sur les bords de la Méditerranée et à regarder en face les drames qui s’y déroulent !
Jérôme Vignon
(1) https://www.la-croix.com/religion/Discours-pape-Pharo-texte-integral-2023-09-23-1201283980
(2) « Les Européens pour une immigration mieux maîtrisée », La Croix 21 septembre 2023.
Photographie de la Cathédrale de La Major à Marseille
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