La fraternité ? Nous avons vu lors de la 96e session des Semaines sociales de France que nous en étions tous responsables. Et qu’en même temps, il n’existe pas de recettes miracles de fraternité, mais plutôt des chemins… Or, il y a urgence. C’est comme si toute notre existence, notre vie sociale, notre rapport à la planète, était en jeu, alors que cette fraternité semble aller de moins en moins de soi. Dans les récits bibliques, la fraternité est d’ailleurs d’emblée placée sous le signe de l’épreuve et de la violence. Ce qui est plutôt rassurant : la fraternité n’est pas donnée, mais voilà longtemps que cela dure.
De quoi s’agit-il ? Dans une société française divisée, et encore plus depuis le Covid, nous devons éviter une évolution à l’américaine, ou brésilienne, où le tissu social semble impossible à recoudre. Il y a plus : notre terre souffre et, là encore, les récits bibliques sont éclairants, qui nous disent combien la fécondité de la terre est le baromètre de nos relations de fraternité. L’enjeu climatique et environnemental est en réalité d’abord un enjeu de fraternité, c’est-à-dire de notre capacité à concevoir une « maison commune » habitable. La violence entre frères mène au déluge de Noé…
La fraternité n’est donc pas qu’une attitude individuelle. L’enjeu est aussi collectif. Il nous faut pour cela, comme le dit le pape François, partir des marges, des périphéries : identifier les situations de rupture, d’exclusion. Et analyser les mécanismes en œuvre. C’est dans cette relation aux marges que l’on jugera de notre capacité à la fraternité. Cette fraternité passe aussi par l’écoute. L’écoute de l’autre, de ceux qui ne sont pas d’accord, de ceux même qui s’opposent à cette fraternité, car elle risque de les laisser de côté. Écouter et dialoguer encore, pour permettre la transition par rapport aux enjeux environnementaux colossaux. Écouter n’est jamais du temps perdu ! Dans notre tradition chrétienne, nous avons des ressources spirituelles et religieuses pour l’écoute… Il faut enfin du courage pour la fraternité. Courage de tenir sur ses opinions, courage aussi de prendre l’autre en compte, courage d’aller vers l’inconnu.
On le voit, notre responsabilité est grande. La première chose, sans doute, c’est d’écouter les laissés-pour-compte, ceux qui se sentent déclassés, qui ne sont pas d’accord : on ne fera pas la fraternité entre nous. Et il faut avoir la capacité à sortir de notre bulle, même si cette bulle est pleine de bonnes intentions. Sinon, on risque un fossé entre ceux qui sont engagés auprès de plus pauvres, des migrants, et une partie de la société qui n’est pas d’accord avec cet engagement. De plus, notre monde est complexe, violent même parfois. Plus que jamais, nous avons besoin de lieux de fraternité : des mouvements, des éco-lieux, où l’on peut se ressourcer, souffler, et vivre, de manière très concrète la fraternité. Ce qui pose aussi la question de nos paroisses : sont-elles des lieux de fraternité ? Ne devons-nous pas réapprendre à vivre aussi une fraternité au sein du catholicisme ?
De même, nous devons exiger du monde politique qu’il se mette lui aussi à l’écoute, qu’il en finisse avec ce climat de tension, agité de manière permanente par une utilisation compulsive des réseaux sociaux. Nous ne pouvons laisser la vie publique plonger dans cette violence verbale, qui devient ensuite physique. Et, pour aller plus loin, si dans la vie politique, publique, nous prônions une forme de « chasteté du dialogue » ? Une retenue dans les prises de parole, avec une attitude qui commence sans doute par savoir se taire.
Enfin, la fraternité ne se fera que par un dialogue entre générations. Les jeunes doivent en être partie prenante. Moins nombreux, ils risquent de payer le prix fort pour que puissent vieillir les classes d’âge de baby-boomers bien plus nombreuses. La fraternité, ce n’est pas seulement changer le système de retraite. C’est leur donner une partie des clés de notre monde. Qu’ils ne soient pas, comme l’a dit un des étudiants lors des Semaines sociales, « des nains juchés sur les épaules de leurs aînés ». À nous de savoir leur donner leur place. Dans la société, et dans l’Église.
Isabelle de Gaulmyn, présidente des Semaines sociales de France
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