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Dossier La Tribune du Christianisme social
« Nous savons que la crise agricole que vous traversez est toujours là, profonde, complexe et multiforme. Beaucoup parmi vous souffrent et s’inquiètent pour leur avenir. Les défis [dont celui du respect de l’environnement] que vous êtes appelés à relever, nous concernent tous. » Ces propos émanant du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France datent de…six ans, mais font écho à l’actualité rappelant le désarroi d’une profession, celle de femmes et d’hommes confrontés à une situation complexe où les difficultés économiques, les aléas climatiques et le poids des normes la fragilisent.
Une profession appelée à évoluer profondément, passant d’une agriculture « intensive », qui a permis un accroissement des rendements, notamment avec l’utilisation généreuse de produits issus de la chimie industrielle, et une augmentation spectaculaire de la production alimentaire, mais au prix de multiples impacts négatifs sur l’environnement et la santé, à une agriculture « écologiquement intensive », comme Michel Griffon la qualifie.
L’agroécologie présente ainsi de nombreuses vertus, tant à l’échelle de la biodiversité, de la qualité des sols que sur la santé animale et humaine, en maintenant des rendements agricoles élevés.
Elle devra encore bénéficier des travaux de la recherche pour accompagner son émergence lui permettant de « nourrir la planète », tout en continuant à produire de l’énergie, conserver les paysages, sans atteintes à l’environnement. Un tour de force nécessaire qui passe dès maintenant par la conjugaison de deux cultures différentes, que l’on a tendance à opposer bien souvent, l’agronomie et l’écologie, où le progrès technique et humain est jaugé à l’échelle des écosystèmes et non uniquement à celle de la parcelle.
Innover, c’est bousculer l’ordre des choses pour créer de la valeur : à l’évidence, la transition agroécologique devra aussi veiller à ce que cette valeur soit équitablement partagée par toute la profession, qu’elle soit exercée dans des grosses unités de production ou dans des plus petites, probablement déjà plus sensibilisées à cette évolution écologique de l’agriculture.
Instaurer un nouveau modèle demande du temps, de la formation, des échanges et de la coopération avec l’ensemble des parties prenantes, de la cohérence politique aussi, parce que le rôle des politiques publiques est décisif pour initier et accompagner les transitions à grande échelle.
En France, le premier plan Écophyto avait démarré en 2008 et visait une réduction de l’usage des pesticides de 50 % « si possible » dix ans plus tard. Désormais, dans les pas du « Pacte vert » européen, l’objectif est une réduction de 50 % à l’horizon 2030. La mise en pause du plan Écophyto, à la suite des manifestations agricoles récentes, relayée par l’Europe, interroge les experts et la société, notamment les défenseurs de l’environnement. Elle apparaît privilégier « l’agro-industrie », un modèle d’agriculture orienté vers la productivité et l’utilisation d’intrants chimiques. Elle risque de transformer le modèle de l’agroécologie en un oxymore !
Instaurer un nouveau modèle, c’est donc mobiliser l’ensemble des filières concernées, l’amont comme l’aval, jusqu’aux consommateurs des produits alimentaires. Cette approche systémique est indispensable, car « tout est lié », rappelait le pape François dans Laudato si’. Isabelle de Gaulmyn a raison de pointer l’incohérence de la demande formulée auprès des agriculteurs de « produire de la nourriture respectueuse de l’environnement en laissant des traités de libre-échange fausser le jeu » (La Croix Hebdo, 10-11 février 2024).
Et les consommateurs ? Certes, les sondages soulignent leur soutien massif aux revendications des agriculteurs et à l’agriculture, sans distinguer précisément les différents modèles d’agriculture. En revanche, on note plus récemment une baisse de consommation des produits alimentaires biologiques. L’acte de se nourrir ne revêt-il pas une dimension éthique, quand le pouvoir d’achat n’est pas un facteur limitant ? Ainsi, la transition écologique de l’agriculture devrait être consolidée par une transition alimentaire : le changement de comportement des consommateurs pouvant être déterminant pour une évolution écologique de l’agriculture. Le choix d’un système agricole est révélateur des besoins d’une société, mais également du système de valeurs que porte cette société, notamment par rapport au monde vivant. La rencontre prochaine du public avec la « ferme France », lors du Salon international de l’agriculture, devrait être une occasion d’admirer, de se nourrir, mais aussi de dialoguer pour mieux comprendre les enjeux que relève actuellement l’agriculture.
Pierre-Henri Duée
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