Le mot crise n’a pas bonne presse. Il inquiète, il angoisse même. Financière, économique, migratoire, politique, environnementale, la crise est partout et elle semble durer indéfiniment. Au sens médical, pourtant, c’est un moment, paroxystique certes, où des symptômes nouveaux surgissent qui permettent de diagnostiquer une pathologie qui, jusque là, évoluait à bas bruit. Cette crise appelle une action, une réaction radicale, une thérapie, un jugement, une décision (si l’on se réfère à l’étymologie grecque du mot krisis, telle que présentée dans les dictionnaires).
La crise, dès lors, n’est plus seulement une épreuve douloureuse, mais l’occasion de prendre des décisions qui changent profondément une situation, la régulent, la rendent meilleure. Toutefois, le processus qui mène à la transformation peut faire peur, parce qu’il s’agit d’un saut dans l’inconnu, d’une histoire non encore écrite.
Que va-t-il naître de la « crise » que vit l’Eglise catholique dans notre pays ? Le symptôme, celui qui surgit dans la douleur, alors même que le mal couvait depuis longtemps, c’est la pédophilie, les crimes commis et la manière dont les autorités religieuses ont pu les affronter. Mais il y a aussi la crise de la gouvernance, mise en avant sous le vocable de cléricalisme par le pape François. Beaucoup de communautés chrétiennes aujourd’hui, beaucoup de mouvements, beaucoup de théologiens s’emparent de la question pour proposer des pistes. Il s’agit de déconcentrer le pouvoir, d’y associer toutes les forces vives de l’Eglise, clercs et laïcs, hommes et femmes…
La crise politique, démocratique, nous la vivons également. La montée des populismes – illustrée par l’élection présidentielle au Brésil – ne laisse pas d’inquiéter. Mais elle est aussi l’occasion de s’interroger sur les réalités qui mènent à ces votes extrêmes, de l’autre côté de l’Atlantique ou en Europe. Trop de personnes se sentent « larguées » dans notre société. Peu à l’aise avec la mondialisation, avec l’idée de compétition qui sous-tend les choix économiques, ils ne se sentent pas protégés. La corruption, la violence de certaines sociétés, l’impuissance et les fausses promesses ont rompu le pacte de confiance. Comment la faire renaître ? Ca et là, à leur niveau, des citoyens, des associations cherchent des solutions pour recoudre le tissu social déchiré. Ils ne baissent pas les bras, ils s’engagent, espérant que la somme des crises et les souffrances qu’elles engendrent conduiront à un nécessaire retournement.
A sa modeste mesure, au travers de la réflexion menée sur son avenir, l’association des Semaines sociales de France ne peut pas ne pas se sentir profondément bousculée dans sa mission par tous ces mouvements qui agitent le monde. Il ne s’agit pas de rompre avec le passé, mais au contraire, dans le sillage des intuitions des fondateurs, de lui redonner du souffle, d’écrire une nouvelle page de son histoire. Les Rencontres du christianisme social, en ce week-end de Toussaint, ouvrent le ban. Avec confiance. Dans son livre Petit christianisme d’insolence, Robert Scholtus nous invitait à être des hommes (et des femmes, ajouterai-je) du Levant : « Pour que du neuf advienne, il ne suffit pas de le décréter. Il faut inlassablement l’attendre et le guetter, le surprendre et l’accueillir. » Belle ambition.
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Dominique Quinio, présidente des Semaines sociales de France