Le lundi 11 avril, un webinaire rassemblant plusieurs personnalités ukrainienne a pu permettre de mettre en lumière la situation des Eglises au moment de la guerre en Urkaine. Nous vous en proposons ici un résumé détaillé et vous pouvez retrouver l’ensemble des interventions ici.
L’invasion militaire de la Fédération de Russie en Ukraine contient une composante religieuse qui est très importante. Aussi cette composante doit être relayée et analysée. Les événements dramatiques apportent des modifications à l’existence même des Églises tant en Ukraine que hors ses frontières ce qui sera aussi le sujet de notre discussion.
Animé par le Dr Antoine Fleyfel, Directeur de l’Institut chrétiens d’Orient (Paris)
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Dr Yuriy Pidlisnyy, Responsable du programme Éthique-Politique-Économie de l’UCU (Lviv)
L’Église, la guerre, la justice, la paix : des repères perdus ?
L’appel à la paix est sur toutes les lèvres mais il faut bien réaliser que la paix peut se réaliser de différentes manières : par la négociation de traités, lorsque l’on se rend ou après la victoire.
Au début de la guerre, beaucoup de personnes dans les milieux ecclésiaux soulignaient le caractère mauvais et destructeur de la guerre en disant que la paix doit toujours être recherchée et en s’interrogeant pour savoir si les Ukrainiens n’avaient pas envisagé d’autres moyens de se défendre pour ne pas favoriser une escalade.
Cela devait être la conséquence d’une mécompréhension de la situation en Ukraine car désormais, au vue des événements, plus personne ne pose la discussion en ces termes ni ne suggère une défense ukrainienne dépourvue d’armes.
Il n’est pas inutile de rappeler à ce titre le numéro 2265 du Catéchisme de l’Eglise catholique : « En plus d’un droit, la légitime défense peut être un devoir grave, pour qui est responsable de la vie d’autrui. La défense du bien commun exige que l’on mette l’injuste agresseur hors d’état de nuire. A ce titre, les détenteurs légitimes de l’autorité ont le droit de recourir même aux armes pour repousser les agresseurs de la communauté civile confiée à leur responsabilité. »
La guerre en Ukraine nous amène à devoir réviser l’architecture des Relations internationales afin d’obtenir une paix durable et non seulement pour une décennie.
Si l’action du pape François et du Vatican est saluée, en même temps un certain nombre d’ambiguïtés dans les prises de parole sont relevées. Ainsi, le cardinal Parolin mettait récemment en garde contre la livraison d’armes qui pourrait mener à une escalade de la violence. Mais la situation n’est-elle pas déjà incontrôlable ? Et la menace nucléaire est-elle réellement suspendue à cette livraison ?
Le Dr. Yuriy Pidlisnyy a achevé son intervention en demandant à ce que les moyens de mettre un terme à cette guerre soient pris, rendant l’Ukraine capable de chasser les Russes de son territoire et, au niveau international, de changer le régime de Poutine sinon la guerre recommencera.
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Dr Mychaylo Dymyd, Professeur du Département de théologie pastorale, Faculté de philosophie et de théologie de l’UCU (Lviv)
Comment les Églises nomment-elles ou ne nomment-elles pas l’agresseur de la guerre russo-ukrainienne 2022 ?
Dire la paix signifie nécessairement dire la vérité. Et dans cette idée, il peut exister au sein des Eglises une certaine ambivalence dans leurs déclarations en faveur de la paix. Cette intervention en a proposé un tour d’horizon.
L’Eglise orthodoxe de Russie par la voix du patriarche Cyrille a forgé une vérité alternative en soutien à la guerre de Vladimir Poutine. Ainsi, le patriarche Cyrille a parlé dans son homélie du 3 avril de « guerre fratricide », de « combat métaphysique contre les forces du mal », une force qui habite l’Occident et qui est à l’opposé de la force qui habite la Russie.
Quand le patriarche œcuménique de Constantinople se dit « bouleversé par l’invasion du territoire de la République d’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie ». Le mal est bien nommé : « violence », « attaque non provoquée », etc.
L’Eglise de Roumanie, de Grèce ont condamné cette invasion. L’Eglise d’Helsinki déclare pour sa part que « Il est maintenant grand temps que l’Eglise de Russie se rende compte qu’elle s’est égarée. Pour l’amour du Christ, réveillez-vous et condamnez ce mal. »
L’Eglise orthodoxe russe en Ukraine (qu’on appelle Eglise orthodoxe ukrainienne) entretient de son côté un certain flou auprès de la société sur le camp qu’elle a choisi et a toujours refusé de nommer la Russie comme l’agresseur depuis la guerre du Dombass.
Pour l’Eglise catholique, le pape François déclarait à Rome le 2 avril : « Quelque puissant, tristement enfermé dans ses prétentions anachroniques d’intérêts nationalistes, provoque et fomente des conflit ». On y devine M. Poutine mais ce n’est pas le cas de millions de chrétiens désorientés par la désinformation. Par ailleurs, dans la formule de consécration de la Russie et l’Ukraine à Marie, la Russie n’est pas désignée comme coupable de la guerre et les villes ukrainiennes semblent être en prise avec une guerre impersonnelle.
L’Eglise grecque-catholique d’Ukraine est très claire dans ses propos et parle d’une guerre « tordue », « inhumaine », « vicieuse », dénonce les forces russes qui apportent « la morte la dévastation au cœur de l’Ukraine ».
L’Eglise d’Angleterre parle de « l’invasion russe d’Ukraine » et appelle à son retrait.
D’autres déclarations de groupes locaux ont pu mettre en évidence une rhétorique religieuse dénuée de sens avec des appels à la paix sans recherche de justice ou de vérité.
Si la vérité peut mettre en colère, ce qui semble être craint lorsque les déclarations sont ambiguës, elle peut aussi guérir. Le pacifisme abstrait cache un piège dangereux : le mal n’est pas exposé dans sa concrétude.
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Dr Pavlo Smytsnyuk, Directeur de l’Institut d’études œcuméniques de l’UCU (Lviv)
Comment la guerre change-t-elles les Églises ?
Il existe deux Eglises orthodoxes en Ukraine : l’Eglise orthodoxe russe, appelée Eglise orthodoxe ukrainienne, et l’Eglise autocéphale.
L’Eglise orthodoxe russe fait face au défi de conserver sa crédibilité alors qu’en Ukraine certains diocèses ont cessé de commémorer le patriarche Cyrille et réclament leur indépendance pour rejoindre l’Eglise autocéphale. Si le métropolite ukrainien a condamné la guerre, cette Eglise a néanmoins contribué au récit russe.
Du côté de l’Eglise autocéphale, la guerre pourrait être une opportunité pour réaliser l’unité de l’Eglise d’Ukraine. Mais il faut agir ici avec maturité et éviter les attaques envers les paroisses du patriarcat de Moscou sinon elles voudront être totalement indépendantes.
L’Eglise grecque-catholique rencontre elle aussi un nouveau défi : avec les nombreux exilés ce sera une Eglise encore plus globale et disséminée à travers le monde. Elle a appelé les chrétiens à s’aimer et essaye par ailleurs de réagir au mécontentement de beaucoup de catholiques au sujet des prises de position du Saint-Siège qui ont souffert d’un discours trop politique qui ne dirait pas la vérité tout entière.
Un défi se pose aux protestants, majoritairement baptistes et pentecôtistes, de savoir jusqu’où le pacifisme peut aller.
En règle générale, les Eglises en Ukraine se retrouvent dans une situation à laquelle elles n’étaient pas préparées. L’Ukraine possède un conseil d’organisations religieuses avec 16 grandes Eglises ainsi que des représentants musulmans et juifs. Ce conseil a 25 ans et a publié récemment un volume avec 150 documents dont 1/3 concernaient la famille, l’idéologie du genre, etc. et 3 seulement la construction de la paix et 2 documents sur la réconciliation. Il y a une asymétrie important entre la morale sexuelle et familiale et la question de la paix.
La guerre va inévitablement transformer la relation œcuménique. L’Eglise russe perdant sa crédibilité, elle donne la possibilité à l’Eglise autocéphale et greco-catholique d’entrer dans l’œcuménisme d’une autre manière. Le moment œcuménique sera moins un club G7 qui veut promouvoir ses intérêts et un dialogue entre les différentes communautés.
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Dr Constantin Sigov, Directeur du Centre d’études européennes à l’Académie Mohyla de Kyiv (Kyiv)
L’ethos de l’hospitalité et les personnes déplacées dans l’espace de la guerre de l’information.
Philosophe, le Dr Constantin Sigov a publié récemment une Lettre de Kiev (https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/19537/placards-libelles-12-lettre-de-kiev) et veut faire de ce genre littéraire actif et relationnel une manière de s’impliquer avec les Ukrainiens au cœur de la guerre, enjoignant chacun à écrire à nos amis ukrainiens.
Car la guerre a un visage. Le visage de chaque personne est un vis-à-vis pour prendre conscience de ce qu’il se passe réellement. La tragédie de Marioupol passe par tous ces visages, ces témoignages.
La plupart des journalistes se sont concentrés sur les problèmes institutionnels, structurels, religieux, etc. On accorde moins d’attention sur la voix des Ukrainiens ceux qui malgré la guerre font des actions solidaires et un travail de réflexion.
Le site ethos veut aller dans cette direction. Il cherche à apporte une voix de différentes confessions d’Ukraine vers le monde et du monde vers les Ukrainiens. Il veut permettre d’informer les Ukrainiens de nos mots vers eux et d’enregistrer des témoignages.
Par exemple la théologienne Anne-Marie Pelletier y a proposé une lecture biblique des événements, Alors que la dimension « fratricide » de cette guerre est souvent relevée dans les discours, la théologienne alerte sur le choix des références convoquées et elle dit que ce ne sont pas des frères qui s’affrontent l’un face à l’autre, mais qu’il existe bien une volonté hégémonique habitée d’une mémoire manipulée qui prétend détruire ce qui incarne son contraire : la revendication de la dignité, la volonté farouche de vivre dans un monde où la vérité et la liberté ont un sens.
Voir le replay de ce webinaire.