L’actualité pour les chrétiens engagés en monde ouvrier et populaire a été riche cette année. Riche et pleine de contradictions. Ainsi, au premier rang des sujets ayant mobilisé les militants, la réforme des retraite et le recul de l’âge de la retraite à 64 ans. Pour beaucoup, cela a tout à la fois permis de retrouver le gout des manifestations unitaires et du tous ensemble, mais laisse aussi un goût d’amertume et de colère. Ils ont en effet dû faire face à un pouvoir autoritaire, passant au-dessus de l’avis de la très grande majorité du peuple et empêchant même la représentation de voter sur son projet. Ce mouvement social a, au fond, souligné l’opposition entre deux visions de la société et du monde. Entre une conception faisant de la protection sociale et du partage du travail le moteur du développement humain et social. Et, à l’inverse, une vision basée sur la croissance à tout prix, le travailler plus, toujours plus, avec une protection sociale réduite. On ne sait dans quelle mesure l’aspiration sociale exprimée au cours du printemps rencontre celle d’un autre mode de vie et de production respectant les rythmes naturels, répondant au défi climatique et préservant une vie commune pour toutes et tous. Cette période est en effet marquée par des mobilisations militantes qui pourraient permettre que se rejoignent ceux qui font de la justice sociale le moteur de leur engagement et ceux qui ont à cœur de rendre justice à l’environnement. La raison ? Ces deux courants sont porteurs d’une rupture avec la logique dominante basée sur la croissance sans limite, les privilèges accordés aux plus riches et la mise à mal des équilibres de la vie sur la planète. A l’inverse, ils sont porteurs d’un autre monde, basé sur l’égalité sociale, la démocratie et la préservation de la planète.
Sans doute faut-il aujourd’hui renouer avec la démarche dialectique et voir qu’un mouvement social crée en même temps qu’il se déroule le monde auquel il aspire. Au début du mois de juin, l’Action catholique ouvrière de Lille, et notamment son relais d’engagés politiques organisait une rencontre sur le thème : « Il germe un monde nouveau, ne le voyez-vous pas ? ». Ce thème s’appuyait sur une citation biblique, celle d’une intuition prophétique d’Isaïe. Intuition ô combien provocatrice mais toute aussi porteuse d’espérance, car le peuple d’Israël était alors en exil.
Aujourd’hui, n’y a-t-il pas un enjeu pour les chrétiens engagés de faire œuvre prophétique et de donner à voir ce « monde nouveau » qui germe, ce « déjà là » du Royaume – cette utopie formidable qui renverse de fond en comble les représentations et logiques sociales du monde – pour aider à ce qu’il advienne de plus en plus et soit de plus en présent, « sur la Terre comme au ciel ».
L’appel lancé par un certain nombre de chrétiens catholiques, protestants, orthodoxes contre la dissolution des « Soulèvements de la Terre » (1) dit aussi quelque chose de cet enjeu. Que les germes de ce monde nouveau persistent et continuent de nourrir l’espérance de son avènement.
Bruno Cadez
de la Mission ouvrière du diocèse de Lille.
(1) « La Terre se soulève avec tous ses habitants » (Nahum 1,5) | Le Club (mediapart.fr)
