Dossier Fin de vie

Fin de vie : lettre ouverte aux députés et sénateurs 04.06.2024

Fin de vie

Un projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et à la fin de vie est débattu au parlement.

Dans la suite de consultations et de rencontres initiées sur ce sujet à travers toute la France, les membres des SSF se sont exprimés en mai 2023 dans un communiqué signé de leur présidente Isabelle de Gaulmyn.

Un an après, ils pointent des décisions qui peuvent d’ores et déjà faire l’objet d’une application immédiate :

    • La mise en œuvre d’un droit opposable dans le domaine des soins palliatifs.

    • Le réel développement d’une culture palliative, que ce soit en formation initiale ou en formation continue, et ceci dans une dimension interdisciplinaire.

Et en articulation avec la future loi, ils souhaitent pointer un certain nombre de questionnements :

1. Sur la pertinence de ce projet de loi pour la société et le système de soin

Le contexte est-il opportun pour une loi qui crée un débat très clivant ? La crise inédite du système de soin semble un moment très défavorable pour modifier un corps législatif parfois encore mal connu et pas très bien appliqué. Il est à craindre un grand décalage entre les modalités d’intervention envisagées par la loi et la réalité des situations de fin de vie et du système de soin.

Dans une telle dégradation de la santé où s’expriment des expériences de mal mourir ou de peur de mal mourir, nous appréhendons l’émergence possible de demandes à mourir par défaut de bons soins, ou crainte de défaut de bons soins.

Des points aveugles quant à la solidarité nationale, pourtant en interaction avec la question de la fin de vie, subsistent : la dépendance du grand âge, le monde du handicap, les personnes vulnérables et dans la précarité. Une loi qui entend concilier la solidarité de la nation et l’autonomie de l’individu peut-elle être adoptée sans une réelle prise en considération de ces points aveugles ?

2. Sur ses aspects formels

Comment comprendre l’articulation entre les premiers articles de cette loi relatifs aux soins palliatifs et la suite immédiate du texte sur l’aide à mourir ?  Le risque d’une lenteur dans la mise en place et le développement d’une culture palliative ne se loge-t-il pas dans cette concomitance ?

Il est inquiétant de repérer l’emploi, pour un sujet si sensible, d’une sémantique maniant l’euphémisme : ce projet de loi évoque une aide à mourir, ce qui semble présenter, sous une forme voilée mais non moins réelle, une ouverture vers l’euthanasie. De même, l’expression de soin ultime heurte la conscience de soignants pour qui une aide à mourir ne peut constituer en aucun cas un soin. Quant à la notion de fraternité invoquée ici, ne convient-elle pas mieux à l’aide à vivre pratiquée par les nombreux soignants engagés dans la fin de vie.

3. Sur les conditions d’application de la loi

Certaines procédures prévues par la loi demandent à être précisées et débattues :

La pratique de la collégialité est un point fort de la loi Clayes Léonetti, saluée par les soignants impliqués dans l’accompagnement de fin de vie.

 Dans le nouveau projet de loi initial, cette collégialité semble mise à mal par la modification des critères proposés. Le délai imparti aux différentes décisions et les modalités envisagées ne doivent-ils pas être évalués avec réalisme par rapport à l’activité tendue des médecins, en particulier en spécialité médecine générale ? Ces derniers ont-ils été suffisamment écoutés et consultés ? Des prises de décision rapides peuvent entraîner des fractures dans la qualité de la prise en charge et aggraver la situation de personnes vulnérables, isolées, précaires.

La perte du sens de l’accompagnement et le risque de dégrader la relation de soin sont à craindre : le patient risque d’être renvoyé à l’urgence d’une décision personnelle, qui pourrait signer la dégradation de l’alliance thérapeutique et les conditions de possibilité de sa mise en œuvre. A contrario, dans la relation de soin, le temps d’écoute, de discernement, de réflexion éthique et d’accompagnement (vers, avec et à côté de la personne) est à reconnaître comme partie intégrante au cœur du métier soignant.

Le risque de turbulences suscitées par une telle loi dans le monde du soin est loin d’être négligeable :

Dans ce projet de loi, la responsabilité des soignants est très fortement engagée, entre aide à mourir et suicide assisté. Les risques de tension, de division, sont à envisager, de même que des possibilités de démission dans des équipes fragilisées. Ces risques ne seront pas sans impact sur la sérénité de l’alliance thérapeutique entre soignants et patients.

La place éventuelle des familles dans le geste létal est à considérer avec délicatesse et grande vigilance : quid d’éventuelles conséquences traumatiques liées à une participation au geste létal ?

En dernière analyse, l’accès facilité à l’aide à mourir, voire à l’euthanasie, est symptomatique d’une culture utilitariste dans l’économie de la santé : l’indéniable financiarisation du soin et de la médecine peut nuire gravement à l’émergence de questionnements éthiques de qualité. A terme, se loge là un vrai changement de paradigme anthropologique.

Ces différents points de questionnements sont largement partagés et débattus par un certain nombre de soignants, de familles expertes de leur expérience, de corps intermédiaires.

Les SSF ont à cœur de présenter ces points, via leurs adhérents, aux députés et aux sénateurs en vue du débat sur ce projet.

Jean-Luc et Françoise Philip, groupe santé des SSF.

ssf-fr.org

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