Discours d’Astrid Panosyan-Bouvet, Ministre du Travail et de l’Emploi
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Dossier La Tribune du Christianisme social
J’ai fait un rêve.
J’ai rêvé d’assister à une présentation du projet de loi gouvernemental réformant notre système de retraites. On y répartissait en deux colonnes ses aspects positifs et ses aspects négatifs à partir d’informations démographiques, économiques et comptables fiables. Cette classification prenait aussi en compte les comparaisons faites entre la situation française et celle d’autres pays, notamment nos voisins, états-membres de l’Union européenne, qui par ailleurs, ne disposent pas d’un système de pensions par répartition comme le nôtre. J’ai rêvé qu’après cette étape de discernement, une conversation s’était librement engagée entre les participants pour voir comment ce projet était amendable, perfectible sinon améliorable.
Dans ce rêve, ce qui m’avait frappé, c’est qu’on ne pouvait consulter sur la table aucun sondage, aucun rapport partisan ou d’expert improvisé ou adepte de l’ultracrépidarianisme (prétention très à la mode de parler en spécialiste de ce qu’on ne connaît pas). Seule la confrontation au réél était à l’ordre du jour. Et la conversation était l’outil privilégié pour solutionner le problème posé.
Ce rêve s’est un peu réalisé lors d’une dernière réunion en ligne des administrateurs des Semaines Sociales de France. Je fais partie de ces privilégiés qui ont pu avoir accès à une approche critique mais nuancée d’un projet de loi, concernant toutes les générations de notre société, mais qu’une manipulation purement politicienne, s’exprimant par une opposition manichéenne caricaturale, a transformé en pomme de discorde nationale, pour ne pas dire en guerre civile, pour le moment larvée.
La complexité, caractéristique probablement inachevée de notre changement d’époque, a nourri de sagaces réflexions comme celle, par exemple, du sociologue et philosophe Edgar Morin, sur nos capacités à considérer que tout est lié, comme pense aussi le pape François : autrement dit, la complexité des choses impliquerait que l’on essaie de comprendre les relations entre le tout et les parties, entre le global et le local. Ainsi comment parler à bon escient d’une réforme des retraites en France en la sortant du contexte démographique français ou bien de la politique de l’Union européenne en matière de retraite ?
Cependant la difficulté ou le refus de prendre au sérieux ce paradigme de la complexité se manifeste sous nos yeux par la dérive expansionniste d’une forme de pensée binaire, pour ne pas dire biaisée ou borgne, qui s’est particulièrement développée sur la scène médiatico-politique. Son avantage est de rallier des pans importants de l’opinion publique – saturée non pas d’informations mais de sens – en peignant en noir et blanc des réalités compliquées à expliquer et en caressant la population dans le sens du poil. Quitte à lui mentir et à faire mentir les réalités ! Le drame de ce phénomène est de grégariser un sentiment de mécontentement et de révolte qui pourrait finir dans la rue en révolution mais, jamais au grand jamais, ne pourrait apporter de solutions viables.
Si on veut éviter et même repousser ce péril, « il nous faut renoncer à analyser le monde et l’Eglise sur le mode binaire », écrit le prêtre essayiste Robert Scholtus. Et de citer l’avertissement de l’historien du droit et de la psychanalyse Pierre Legendre : persister dans cette interprétation dualiste et fractionneuse de la vie du monde, prévient-il, « serait un leurre qui dissipe provisoirement l’énigme d’avoir à vivre l’inattendu, le non-programmé ». Par quel moyen sortir de cet engrenage de la dialectique du blanc ou du noir dans lequel, en attisant les émotions et les pulsions et en atténuant la raison, on cherche à nous confiner ? En refaisant circuler de la conversation dans nos sociétés, nos associations et nos groupes humains.
Qu’est ce que la conversation ? C’est une fréquentation d’autrui nous rappelle le dictionnaire étymologique. C’est un mouvement de rapprochement, de proximité : « Ne restez pas là, approchez-vous de moi, ensemble faisons la conversation » chante l’actrice Françoise Fabian, dans une chanson écrite par Vincent Delerm et intitulée, « Conversation ». La conversation ne peut se confondre avec la communication. Mais la communication est le moyen par excellence de transmettre de la conversation. « Converser, c’est redevenir responsable de sa parole et ne pas accepter de s’en remettre à l’orateur démagogue, écrit dans un brillant essai sur le sujet l’écrivain et poète Emmanuel Godo. C’est refuser d’attendre des lendemains qui chantent. Mieux encore, toute bonne conversation est une préfiguration et une anticipation de ce lendemain.» Autrement dit, dans « l’éphémère de la parole déployée et échangée avec des partenaires de parole », se réalise la société conviviale rêvée. C’est bien ce rêve que m’a inspiré le projet de loi de réforme des retraites.
Mais le dictionnaire étymologique révèle aussi que conversation et conversion sont des mots voisins par leurs origines proches : se convertir c’est se tourner vers quelqu’un ; c’est, autrement dit, le préalable pour entrer en conversation, en fréquentation avec quelqu’un. Fort de ce jumelage de racines, il faut relire ce passage du Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise (n°76) où la conversation apparaît comme une conversion nécessaire pour les personnes et les communautés chrétiennes disposées à « comprendre d’une manière plus précise l’homme dans la société, à parler aux hommes de (leur) temps d’une manière plus convaincante et à accomplir plus efficacement (leur) devoir d’incarner, dans la conscience et la sensibilité sociale de notre époque, la Parole de Dieu et la foi, d’où la doctrine sociale prend son « point de départ » ».
Comme quoi, de l’art de la conversion à l’art de la conversation il n’y a qu’un pas…
Michel Cool, journaliste, éditeur, écrivain, Administrateur des Semaines sociales de France
Discours d’Astrid Panosyan-Bouvet, Ministre du Travail et de l’Emploi
Responsable communication et mécénat-CDI-F/H
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