Contre la torture

La torture et autres traitements inhumains et dégradants gagnent de nouveaux pays et se banalisent. La lutte contre ces négations de la dignité humaine devient plus difficile et nécessaire alors que les conventions internationales pour la protection des droits humains font l’objet d’attaques continues. Nul ne doit rester indifférent.

La Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée à Paris le 10 décembre 1948 stipule en son article 5 : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », mais il faudra attendre 36 ans pour qu’une Convention définisse la torture, précise les obligations des Etats et confirme en son article 2 « qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, … ne peut être invoquée pour justifier la torture[1] ». Un article que les Etats, comme les opinions publiques, ont peine à faire leur.

« La ratification de la Convention a entraîné la création d’ONG de lutte contre la torture dans presque tous les pays du monde. »

Aidées souvent par des ONG internationales, elles militent pour que les dispositions de la Convention soient traduites dans les lois nationales; elles attirent sur celles-ci l’attention des policiers et des juges qui, pour beaucoup, les ignorent ; elles interrogent les autorités sur les violations dont elles ont connaissance ; elles soutiennent moralement les familles des victimes de la torture ; elles aident ces dernières à se réinsérer dans la vie ordinaire à leur sortie de prison ; elles peuvent informer le Comité contre la torture, le CAT, de la réalité de la torture dans leur pays en contrepoint des rapports officiels[2].

La torture est toujours pratiquée pour obtenir des informations d’un potentiel terroriste, espion ou opposant malgré le peu d’utilité des aveux ainsi obtenus[3] . Mais, aujourd’hui, les ONG constatent que les victimes de la torture et autres traitements inhumains et dégradants sont majoritairement des pauvres pour obtenir l’aveu de fautes, commises ou non, ou pour leur faire peur afin qu’ils ne protestent pas des violations de leurs droits quand ils sont, par exemple, expulsés de leur terre ou de leur logement ; des journalistes qui critiquent ou dénoncent ; des défenseurs des droits de l’homme et de l’environnement parce qu’ils défendent le droit des personnes contre des intérêts économiques ou politiques.

Exemples[4] :

• En Tunisie, Mosbah, vendeur à la sauvette, soupçonné de cambriolage, emmené au commissariat, battu, dans le coma pour 30 jours, rendu aveugle. Sa famille est aidée par la SANAD[5] qui obtient sa libération et le fait soigner.

• Au Bangladesh, Mahmudur, rédacteur en chef du Daily Amar Desh, inculpé, pour le faire taire, de sédition et maintenu en détention 1322 jours parce que la police inventait de nouvelles charges contre lui chaque fois qu’il allait être libéré a finalement été libéré grâce aux interventions coordonnées par une remarquable organisation locale de défense des droits de l’Homme, ODHIKAR.

• Aux Philippines, 60 enfants enfermés au Yakap Balta Holding Centre, YB[6], un centre de rééducation, reçoivent des coups sur le ventre et des décharges électriques, ont périodiquement la tête couverte de sacs en plastique et restent menottés des heures. Le Children’s Rigthts and Development Centre a obtenu le transfert de certains enfants et la promesse de fermeture d’YB .

• Au Guatemala, sept défenseurs des droits de l’homme et de l’environnement du Huehuetenango sont incarcérés entre 2015 et 2016 et maltraités sous l’inculpation d’incitation au crime. Une mission d’observateurs étrangers appuyés par une organisation locale de défense des droits humains obtient leur acquittement à l’issue d’un procès.

• Au Venezuela, Linda enfermée, violée et torturée réussit à s’enfuir quand son tortionnaire, un individu privé, la croit morte. Saisie par la victime et plusieurs ONG la Cour Interaméricaine des droits humains condamne en septembre l’Etat du Venezuela pour n’avoir pas enquêté quand la famille a alerté les autorités. C’est la première fois que la Cour statue sur un cas de violence sexuelle infligée dans la sphère privée[7].

• la France et d’autres pays européens renvoient des migrants de force dans leur pays où ils risquent la torture et harcèlent parfois ceux qui les aident, pratiques dénoncées par l’Observatoire .pour la protection des droits humains

Ainsi la lutte contre la torture obtient des résultats. Chacun peut faire qu’ils soient plus nombreux et décisifs ne serait-ce qu’en réaffirmant à toute occasion que rien ne peut justifier la torture et en soutenant les associations et les personnes qui s’y opposent.

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Yves Berthelot, rédacteur des SSF

  1. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, a été adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 10 décembre 1984, elle est ratifiée aujourd’hui par 165 des 195 pays membres des Nations Unies, souvent avec des réserves, en particulier de la Chine et des Etats Unis.
  2. Les Etats parties à la Convention doivent, en principe, rapporter tous les quatre ans au Comité contre la torture, organe des Nations Unies composé de 10 experts indépendants, des mesures qu’ils ont prises pour lutter contre la torture et les ONG ont pris l’habitude de présenter des rapports alternatifs.
  3. Le Rapport du Comité d’étude du Séant sur le Programme de détention et d’interrogation de la CIA, approuvé le 13 décembre 2012, constate : «À aucun moment les techniques d’interrogatoire renforcées de la CIA n’ont permis de recueillir des renseignements relatifs à des menaces imminentes ». Il corrobore plusieurs études qui soulignent que les informations obtenues sous la torture sont peu fiables.
  4. Les exemples donnés sont tirés des rapports annuels 2016 et 2017 de l’Organisation mondiale contre la torture, OMCT, les exemples concernant la France proviennent d’appels de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, un partenariat entre la FIDH et l’OMCT ainsi que du rapport 2017-2018 d’Amnesty International.
  5. Le SANAD est un programme de l’OMCT-Tunis d’assistance sociale et juridique aux victimes de la torture.
  6. En Uruguay, l’Instituto de Estudios Legales y Sociales del Uruguay réussit à faire fermer un centre de détention où des enfants étaient maltraités.
  7. http://www.corteidh.or.cr/docs/casos/articulos/seriec_362_esp.pdf

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