Dans ses analyses prospectives sur l’avenir du catholicisme, Danièle Hervieu-Léger, bien installée dans son rôle de sociologue des religions, décrit deux risques : l’implosion de l’Eglise, et la dérive diasporique du catholicisme. Imploser, c’est la conséquence d’une différence de pression entre l’extérieur et l’intérieur, et la culture chrétienne n’aurait pas aujourd’hui la présence, la densité, qui lui permette de résister au poids de la culture dominante. Quant à la dispersion des catholiques elle se cristalliserait encore sur les conséquences de Vatican II, mais ces tensions entre catholiques ne sont sans doute que l’annonce de différences bien plus radicales entre plusieurs visions de l’Eglise.
Face à ces risques, dont nous mesurons quotidiennement l’occurrence, l’institution est souvent mal placée pour créer et nourrir une dynamique. Malgré la beauté de l’engagement de nombreux clercs, leur courage et leurs prises de risques, le mal est là, et aujourd’hui encore il distille son venin et abîme notre confiance. Alors que l’Eglise continue à vivre la diminution forte du nombre de prêtres et l’érosion de la pratique religieuse, c’est aussi sa crédibilité qui est mise en cause par les fautes, l’hypocrisie et les silences de membres de sa hiérarchie.
A quelles conditions le chemin synodal, cette mise en commun de nos visions sur l’Eglise dans le monde, de nos questions sur l’institution, de nos capacités d’action, de notre espérance, peut-il rebâtir notre cohésion communautaire ? Il a été différemment vécu, mais la mobilisation observée, par exemple dans le diocèse de Paris, est riche, riche du nombre des chrétiens mobilisés, riche de l’ampleur de leurs questions et propositions bien reprises dans la synthèse diocésaine. Et avant même toute prise en compte de sujets clivants sur le rôle du clergé et sa composition, la dynamique du débat a déjà changé le rapport entre clercs et laïcs : les questions partagées en petits groupes, ou au niveau paroissial, ont fait sauter des postures, modifié des rôles. Une démarche synodale crée une communauté où le rapport entre un clerc et un laïc évolue. Le respect dû au clerc dans la liturgie et les fonctions sacramentelles n’implique pas la reconnaissance d’une position supérieure qui a nourri le cléricalisme.
Les questions et propositions posées par les catholiques français sont sur la table des évêques mais le calendrier annoncé semble réducteur. D’abord parce que si cette démarche est prise au sérieux elle ne s’arrêtera pas à la date annoncée pour les prises de décisions, fussent-elles romaines : le synode a créé une attitude, un mode de dialogue, des devoirs pour chacun, qui ne peuvent se réduire à des évolutions de l’organisation.
L’exemple du chemin synodal allemand est à cet égard très instructif : là aussi gravité des scandales, ébranlement de la crédibilité de l’Eglise. Or les catholiques allemands, leurs associations, se réunissent dans une organisation, le ZDK, ce comité central des catholiques, qui partage avec la conférence des évêques l’organisation et le suivi du chemin synodal. Plus qu’une simple méthode de travail ce dialogue est un moteur pour avancer. Leur démarche, commencée avant la nôtre a déjà présenté des conclusions, et la première difficulté, avant même toute réaction du Vatican, est la création du consensus. Septembre a été tendu. Il est prévu que les textes doivent avoir l’approbation du ZDK et d’une majorité qualifiée des évêques, ce qui fut le cas pour des textes sur le rôle des femmes et leurs fonctions dans l’Eglise. Par contre un texte proposant une éthique de la sexualité renouvelée, présenté le premier jour de cette rencontre de septembre, n’a pu être accepté, la majorité qualifiée des évêques n’ayant pas été réunie. Et cette impossibilité de trouver un accord a été très mal vécue par tous, signe de l’importance donnée par les catholiques allemands à la démarche. Le calendrier a été revu, les partenaires se donnent le temps et les moyens de trouver un accord. Par-delà les difficultés liées aux réserves du Vatican sur telle proposition concernant la gouvernance de l’Eglise, ce travail en commun cherche à répondre à la crise vécue. Un point intéressant à noter : le lien entre cette dynamique et les églises européennes voisines ; certes crispation violente de prélats polonais, mais surtout attention très particulière entre églises européennes aux différentes démarches engagées dans chaque pays.
Oui un chemin synodal révèle, diffuse, nos différences, mais pour relever les défis que représentent et l’affaiblissement du christianisme comme socle spirituel et culturel partagé, et la revitalisation de l’institution, ce difficile chemin doit être mené, suivi, observé, appliqué, dans la durée.
Philippe Segretain, membre du CA des SSF