3 films à voir quand on est bloqué chez soi par temps de Coronavirus

L’épidémie de virus Covid-19 ralentit le pays pour le pire et le meilleur. Les plus libéraux s’inquiètent pour l’économie, mais les plus optimistes en profitent pour s’arrêter et réfléchir. Si vous êtes confinés chez vous, voici trois films à voir ou à revoir !

  • Pour commencer : l’an 01, de Jacques Doillon.

Rembobinons. Il y a presque un demi-siècle, une bande de jeunes anarchistes passés à la postérité dégoupillait une œuvre emblématique : l’An 01. Soit une BD décalée et potache qui donna lieu à un film de Jacques Doillon. Le pitch ? Soulée par la société industrielle, la population décide d’une première résolution : « On arrête tout, on réfléchit ». Le mot d’ordre est suivi d’une seconde décision : « Après un temps d’arrêt total, ne seront ranimés que les services et les productions dont le manque se révélera intolérable ». Petit à petit ils décident que « pendant toute la durée du temps d’arrêt, l’arsenal technologique, appelé désormais le bazar, sera soigneusement maintenu en état de marche ». Mais c’est pour mieux flâner pieds nus sur les pelouses, pisser au coin d’un arbre et inventer de nouvelles façons de vivre en communauté. C’est le début d’une nouvelle ère : l’an 01. Déprimés par l’arrêt de la production, les banquiers se jettent par les fenêtres. Cette utopie a vu la naissance de nombreux mouvements écologistes et contestataires du monde marchand. Le Monde diplomatique (journal français le plus lu à l’étranger) en fera même son slogan « On arrête tout, on réfléchit ». L’une des leçons du scénario ? C’est quand la production s’arrête qu’il est le plus facile de méditer. De quoi avons-nous besoin, vraiment ? Qu’avons-nous en trop ? Que nous manque-t-il ? Telles sont les questions essentielles que nous devrions-nous poser tous les matins, que ce soit de manière individuelle ou collective.

  • Pour résister : Les Combattants, de Thomas Cailley (avec Adèle Haenel)

50 ans plus tard, la production a repris de plus belle et les mêmes causes produisent les mêmes effets. A ceci près que ce ne sont plus les travailleurs qui s’arrêtent mais le monde lui-même. Le film de Thomas Cailley, Les Combattants, a refait surface il y a quelques jours sur les réseaux « sociaux » à la faveur d’une scène particulière. On y voit la jeune Madeleine (incarnée par une géniale Adèle Haenel) évoquant une potentielle épidémie de Coronavirus qui mettrait un terme à l’humanité. Lors d’un dîner, la jeune femme lucide sur le sort des sociétés post-industrielles tente de discuter avec des acolytes pas trop convaincus de la catastrophe qui vient. En terme d’avenir, ils pensent plutôt « plan de carrière » et « projet professionnel». Madeleine, elle, titulaire d’un master « qui ne sert à rien » lâche doucement que « nous sommes trop préoccupés pour voir venir la fin ». –. « La fin de quoi, lui demande-t-on. La fin, l’extinction, répond-elle du tac au tac». La fin du monde tel que nous le connaissons, un effondrement général. Madeleine veut s’y préparer, gravement. Alors elle boit du jus de poissons crus qu’elle broie au petit déjeuner, s’entraîne à rester sous l’eau en apnée, et se prépare psychologiquement à la guerre de tous contre tous. Débarque Arnaud, qui se lance dans la menuiserie le temps d’un été, et qui en pince pour Madeleine. Arnaud, lui, est en apparence plutôt du genre timide, pas guerrier pour un sou, et suit le cours du monde. Quand Madeleine s’engage dans un stage à l’armée, il plaque tout et la suit. Parce qu’à l’armée, pense la jeune femme, on se prépare au pire et on est des durs. Sauf qu’après quelques jours, Madeleine trouve la vie militaire encore trop molle à son gout et la vie collective étouffante. Excédé par Madeleine, Arnaud file à l’anglaise et c’est Madeleine ce coup-ci qui le suit. Quittant le camp militaire, ils vont vivre à deux dans la forêt, sans matériel ni provisions. « C’est cool parce qu’on est totalement sous équipés » s’émerveille Madeleine. C’est le début du survivalisme. A deux au milieu de nulle part, l’un et l’autre s’appréhendent. Arnaud est poète. « Si t’arrives pas à te concentrer sur les aiguilles de pin dans le sable tu pourras pas survivre ». « Ça sert à quoi ? demande Madeleine ». Arnaud : « Ne rien faire de particulier, ça c’est survivre ». Souvent ce qu’ils font ne sert à rien. Le pire arrive quand Madeleine dévore un écureuil- parce qu’elle veut manger autre chose que des baies- et se retrouve malade. Alors qu’un feu de forêt ravage la région et qu’elle est à l’agonie, Arnaud la sauve et la conduit dans les bras des pompiers, dans une scène de nuées et de flammes. La leçon du film est pleine de sagesse : alors qu’elle pensait s’en sortir par elle-même, Madeleine doit reconnaître qu’à l’heure de la fin du monde, il faudra compter sur l’aide des autres, et tout d’abord celle d’Arnaud, qu’elle prenait un peu pour un faible       « La prochaine fois, faudra qu’on soit mieux préparés, conclue-t-elle après l’expérience ». Ce petit      « on » qui fait toute la différence. Quand tout s’arrêtera, il faudra tout reconstruire ensemble.

  • Pour dépasser ses préjugés : Captain Fantastic, de Matt Ross (avec Viggo Mortensen)

Dans le genre survivalisme, ceux-là sont à l’étape d’après. La famille Cash vit au fond des bois avec leurs six enfants. Ben et Leslie les éduquent selon des principes un peu particuliers : entraînement physique et apprentissage de la défense à mains nues ; auto subsistance (les ados chassent), lecture quotidienne de physique quantique et de critique sociale. Le soir, c’est guitare au coin du feu et poèmes de Lautréamont. La famille vit une véritable utopie décroissante. « Nos enfants seront des philosophes rois, se gargarisent les parents » . Mais depuis quelques mois, la mère Leslie est à l’hôpital. Atteinte de dépression et de troubles bipolaires, elle y met fin à ses jours. Selon le beau-père de Ben – qui incarne l’archétype du capitaliste américain- le choix de vie radical porté par Ben l’a poussée à se suicider. Interdite d’assister aux funérailles, la famille décide pourtant de quitter sa forêt et de rejoindre la vie « ordinaire ». C’est le début d’une confrontation. A bord de Steve, le minibus familial, la joyeuse compagnie se heurte à la société qu’ils abhorrent. Les scènes cocasses s’enchainent et l’on oscille entre le rire franc et l’embarras. On s’attache à cette famille littéralement hors-normes qui ne fête pas Noël mais l’anniversaire de Noam Chomsky ( en l’honneur du linguiste américain), qui élabore des missions « libérons la nourriture », soit une expédition dans un supermarché pour voler de quoi manger. Le Coca-Cola y est présenté par le père comme de l’« eau empoisonnée ». Les concitoyens effrayent les enfants. Pourquoi sont-ils si gros ? « de quoi sont-ils malades, papa ? ». Les enfants, dès l’âge de six ans, savent tout naturellement que les hôpitaux sont pour des gens « sous éduqués et surmédicalisés » et que « l’association des médecins ne pensent qu’au fric et baissent leur froc devant les labos ». Dans la bouche d’enfants, c’est à se tordre de rire. Quand la famille Cash arrive chez les cousins, c’est la rencontre du troisième type. La belle-famille de Ben ne parle pas de mort à leurs enfants (leur tante ne s’est pas suicidée, « elle est morte parce que parfois les gens meurent, tente d’expliquer le beau-frère »). Les géniaux enfants de Ben ne savent pas simplement réciter la déclaration des droits américains, ils la commentent, donnent leur avis, l’expertisent. Quand les cousins plus âgés ne savent en dire que « c’est les droits du peuple américain, tout ça quoi ». Mais si l’on s’attache évidemment à la famille Cash, l’acteur Viggo Mortensen, qui joue Ben, dira de ce film que « la situation est montrée dans tout ce qu’elle a de beau et de ridicule et le point de vue de ceux qui s’opposent à Ben, comme le grand-père conservateur, est aussi défendu ». C’est ici qu’on arrive à la synthèse. Ce petit chef d’œuvre n’est pas simplement un film anticapitaliste « il n’est pas simplement de gauche, déclarera Mortensen ». C’est un film sur l’éducation. La fin du film est de ce point de vue parfaitement synthétique (attention, spoilers). Ben et les six enfants ne vivent plus « coupés du monde », mais dans une maison à la campagne, avec eau courante ! Un film de plus fait pour nous aider à ralentir et nous demander sincèrement : quelle vie voulons-nous vivre ?

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Paul Piccarreta, directeur de la revue Limite

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