Dossier Europe

Le Cap de l’Europe

Suite à l’élection du Parlement européen, en juin 2024, les orientations majoritaires ont fixé le cap pour l’Europe. Les personnalités clés ont été élues et celles proposées pour être membres de la Commission européenne sont actuellement auditionnées par le Parlement avant leur élection.

Le 6 novembre nous avons appris le résultat des élections américaines dont l’ampleur a constitué un choc. Les conséquences seront mondiales. Pour l’Europe c’est un défi à relever. Le premier ministre polonais l’a bien compris lorsqu’il a affirmé que l’avenir de l’Europe ne dépendait pas de l’Amérique mais avant tout de nous : « … l’ère de la sous-traitance géopolitique est révolue. ».

Les enjeux sont ceux de la paix et de la guerre, du dérèglement climatique, de la démocratie. Le texte qui suit résume l’actualité des débats pour les décisions importantes qui sont devant nous. Pour être à la hauteur de ces enjeux, l’Europe doit renforcer sa capacité de décision et d’action. Le Parlement européen et la présidente de la Commission se sont prononcés dans ce sens. Il ne faudrait pas que les atermoiements des gouvernements nationaux y fassent obstacle.

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Les conséquences de l’élection, le 9 juin dernier, du Parlement européen se mettent progressivement en place. Les groupes politiques se sont constitués, les dirigeants des instances ont été élus et les orientations politiques se précisent.

Forte majorité pro-européenne, et droitisation

Huit groupes politiques sont constitués : Gauche (6% des sièges avec 46 députés dont 9 de France), Socialistes et démocrates-S&D (19% des sièges, 136 députés dont 13 de France), Verts (7% des sièges, 53 députés dont 5 de France), Renew (11% des sièges, 77 députés dont 13 de France), Parti populaire européen-PPE (26% des sièges, 188 députés dont 6 de France), Conservateurs et réformistes européens-CRE (11% des sièges, 78 députés dont 4 de France), Patriotes pour l’Europe PfE (12% des sièges, 84 députés dont 30 de France), Europe des nations souveraines-ESN (3% des sièges, 25 députés dont 1 de France), plus 32 députés non-inscrits (dont aucun de France)soit 4% des sièges.

Outre l’évolution vers la droite, le PPE réunissant à lui seul 188 députés, l’extrême-droite est renforcée avec 187 sièges, mais divisée en trois groupes (CRE, PfE ESN). La Gauche a progressé. Cependant les quatre groupes du socle pro-européen (S&D, Verts, Renaissance, PPE) atteignent une majorité de 454 des 720 députés.

Election des équipes dirigeantes

Conséquence des poids politiques, la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola (PPE, Malte) a été élue le 16 juillet avec 458 voix sur 690 exprimées. Ensuite, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen (PPE, Allemagne) pour un second mandat le 18 juillet. Une majorité de 360 voix était nécessaire, et elle a recueilli 401 voix sur 700 exprimées pour ce second mandat, réalisant ainsi un bien meilleur score qu’en 2019 où elle n’avait dépassé la majorité requise que de 9 voix. Le président du Conseil européen Antonio Costa (S&D, Portugal) a aussi été élu pour prendre ses fonctions le 1er décembre.

Restent à élire les membres de la Commission. La procédure est plus démocratique qu’en France, où les ministres sont nommés par le seul président de la République. Les commissaires européens proposés par la présidente de la Commission sont, en ce mois de novembre, auditionnés par le Parlement, et certains peuvent être refusés, avant que la Commission soit élue en décembre. Parmi les propositions figure comme vice-présidente de la Commission Kaja Kallas (Renaissance, Estonie) pour le poste de Haute Représentante chargée des affaires étrangères et de la politique de sécurité.

Débats d’actualité

Outre la campagne électorale, ces derniers mois, ont été marqués par plusieurs débats importants.

Deux rapports avaient été demandés par la Commission. Dans le premier, publié en avril, E. Letta (ancien président du Conseil italien et président de la Fondation Jacques Delors) souligne que l’Europe est « beaucoup plus qu’un marché » ; de son coté, en septembre, M. Draghi (ancien président de la Banque centrale européenne et également ancien président du Conseil italien) plaide pour « l’avenir de la compétitivité européenne ». Décrochage économique et en revenu par habitant de l’Europe par rapport aux Etats-Unis, concurrence de la Chine, nécessité de s’adapter aux réalités du XXIème siècle,, sont soulignées. Les propositions sont nombreuses : efforts pour la recherche, l’innovation, les compétences, harmonisation fiscale, politiques industrielles, tout en favorisant l’émergence de champions européens et en confortant le modèle social. Tous deux préconisent un accroissement du financement par des investissements allant de 650 à 800 Md€ par an.

En outre, une étude de la New Economics Foundation commandée par la Confédération européenne des syndicats CES, publiée en avril 2024, montre que les règles budgétaires européennes en cours ne permettent pas à la grande majorité des Etats membres d’engager les investissements nécessaires pour la santé, les soins et l’éducation et que 320 à 400 Md€ supplémentaires seraient annuellement nécessaires pour répondre aux besoins économiques et sociaux

Par ailleurs, le Conseil européen en adoptant fin juin un agenda stratégique pour la période 2024- 2029, a retenu trois objectifs : Europe libre et démocratique (défendant ses valeurs fondamentales), Europe forte et sûre (renforçant sa souveraineté et son rôle d’acteur stratégique mondial pour la sécurité, la défense, les migrations, l’élargissement), Europe prospère et compétitive (efforts dans les domaines économiques, sociaux, énergétiques, transition écologique, technologique, et innovation).

La présidente de la Commission lors de son discours de candidature, en juillet, a repris ces orientations en insistant sur les questions de compétitivité, d’investissement, de soutien à l’Ukraine. Elle a confirmé la poursuite du Pacte vert. Elle a souligné l’importance de la mise en œuvre du Pacte sur la migration et l’asile. Elle a également rappelé son appui aux pays candidats et son souhait d’une modification des traités à conduire avec le Parlement.

Enjeux et choix pour les prochaines années

On le voit, réflexions et propositions alimentent des débats profonds. Quelles conclusions en seront-elles tirées ? Si le bloc européen est majoritaire au Parlement, le PPE et les gouvernements de certains Etats peuvent être influencés par l’extrême-droite, comme cela a déjà été le cas pendant la dernière année de la mandature précédente, avec l’affaiblissement de législations sociales ou environnementales. Au début de cette nouvelle mandature du Parlement, quelques votes ont réuni PPE et extrême droite. Cinq enjeux seront particulièrement significatifs :

  • Poursuite et mise en œuvre du Pacte Vert. Des pressions économiques, sociales, nationales se font jour en Europe pour ralentir malgré les dégâts de plus en plus tangibles du dérèglement climatique. La COP 29 se réunit en Azerbaïdjan en ce mois de novembre. Les plans nationaux, et l’aide aux pays pauvres les plus menacés sont à l’ordre du jour. Face aux Etats-Unis et à la Chine, comment l’Europe pèse-t-elle pour progresser ?
  • Mobilisation de ressources pour les investissements. L’urgence écologique, les défis mondiaux de compétitivité et d’industrialisation, le modèle social européen, la guerre en Ukraine, nécessitent des investissements à la hauteur des enjeux. Le faible budget européen actuel et le plan de relance post-Covid ne peuvent suffire. E. Letta et M. Draghi préconisent d’orienter l’importante épargne privée européenne vers l’investissement, d’augmenter le budget et de recourir à l’emprunt en commun. Nombre de gouvernements y sont encore opposés.
  • Migration et asile. Un Pacte migration et asile a été adopté en mai bien que des gouvernements s’y opposent encore. S’il constitue un pas nécessaire vers une gestion commune, certaines mesures menacent les droits humains. Le Conseil européen fait pression pour encore plus de rigueur avec d’autres initiatives pour accélérer les retours vers les pays d’origine. Qu’en sera-t-il ?
  • Défense et sécurité. Depuis plus de deux ans, l’Europe s’est résolument engagée pour soutenir l’Ukraine face à l’agression russe (appui humain et financier, achat et fourniture d’armements). La guerre au Moyen-Orient menace de s’étendre et divise les pays européens. Les orientations de l’Agenda stratégique restent à concrétiser et la place dans l’OTAN à préciser.
  • Elargissement et réforme des traités. L’élargissement de l’Union européenne aux pays candidats, (Balkans, Ukraine, etc.) est engagé. Comment progressera-t-il ? Cela dépend des réformes à conduire dans les pays concernés, mais aussi de l’adaptation des traités européens pour garantir le fonctionnement de l’Union avec un plus grand nombre de pays. Cela passe par un renforcement des procédures et institutions européennes. Le Parlement et la présidente de la Commission y sont favorables alors que beaucoup de gouvernements sont réticents, voire hostiles.

A la suite de l’élection du Parlement, le cap est fixé, les orientations majoritaires se sont dessinées, mais les choix précis restent à définir, comme le montre l’actuel débat sur le commerce avec le Mercosur. L’importance des enjeux appelle l’Europe à mettre en œuvre des politiques ambitieuses. Pour cela elle doit surmonter les faiblesses de ses règles institutionnelles. Les prochains mois nous éclaireront sur les voies retenues. Elles seront déterminantes pour notre avenir.

Lyon, 4 novembre 2024

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