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Dossier La Tribune du Christianisme social
Le juge pour enfants Edouard Durand, président de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites au enfants (CIIVISE), créée en mars 2021 suite aux révélations concernant Olivier Duhamel par Camille Kouchner (La familia grande), a été remercié le 11 décembre dernier et remplacé après avoir remis son rapport le 17 novembre 2023. Onze membres de la CIIVISE sur 23, viennent, le 15 de ce mois, de démissionner pour protester contre cette éviction et contre la « nouvelle orientation » donnée à la CIIVISE, heureusement maintenue par l’exécutif alors que sa disparition pure et simple avait été évoquée.
De quoi s’agit-il ? D’une simple querelle entre le gouvernement et un homme connu pour son franc parler ? Celui-ci aurait-il fâché les magistrats en révélant que 54 % des victimes d’incestes étant passés par la justice ont un jugement négatif sur son fonctionnement ? Aurait-il irrité les médecins en préconisant pour eux une obligation de signalement, provoquant en leur sein un problème parallèle à ceux des prêtres en confession ? Ou encore atteint l’ensemble des institutions nationales en pointant du doigt l’impunité conférée aux agresseurs puisque « 3% seulement des viols et agressions sexuelles commis chaque année sur des enfants font l’objet d’une condamnation des agresseurs et seulement 1% dans les cas d’inceste » ?
Quoiqu’il en soit, il lui revient l’immense mérite d’avoir mis en lumière un phénomène massif très largement sous-estimé, en tous les cas régulièrement passé sous silence. D’ailleurs ce qui est sûr c’est que ce rapport a provoqué un embarras immense chez ceux mêmes qui l’avaient voulu et commandé, et ce parce qu’il touche l’institution de base de notre société, la famille.
D’ailleurs la « nouvelle orientation » donnée à la CIIVISE par le gouvernement constitue un aveu en ce sens : s’occuper non pas seulement – et peut-être pas prioritairement ?- de l’inceste et donc de la famille mais aussi, selon les vœux de Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l’enfance : de l’impact de la pédo-criminalité en ligne sur la pédo-criminalité réelle, de l’accès à la pornographie, de l’éducation à la sexualité des enfants et enfin de la prostitution des mineurs. Autant de sujets qui sont importants car ils constituent un milieu facilitateur de l’inceste mais qui, en même temps, écartent la CIIVISE de son objet initial.
Il faut dire que la CIIVISE – par manque de moyens ou de méthode – ne s’y est pas toujours bien prise : les données statistiques qu’elle utilise – au-delà de celles qu’elle tire de ses 30 000 témoignages – proviennent pour l’essentiel de l’enquête Inserm et de son exploitation par la Commission indépendante sur les abus sexuels au sein de l’Église catholique (CIASE) ! Étrange absence de données qui font que nous n’avons aucune mise en perspective historique, pas de renseignements sur les agresseurs, peu de renseignements sur les milieux sociaux, pas de mention d’une quelconque évolution des comportements dans le temps. Il y a là un travail à mener très vite par l’équipe désormais en charge. Lorsqu’on sait que les abus sexuels sur mineurs sont incomparablement plus nombreux au sein des familles que dans l’Église, on comprend qu’il y a là un problème qui mérite que l’on y mette vraiment les moyens. Cela permettrait peut-être de mieux cerner les causes systémiques d’un phénomène aussi vaste. Car là est aussi l’enjeu : y a-t-il un dysfonctionnement dans l’institution famille ? Est-il évitable ? Comment ?
Ce qui est sûr c’est que la famille est aujourd’hui fragilisée et que cette fragilité rejaillit sur l’ensemble du corps social. On l’a vu avec les récentes émeutes où de très jeunes adolescents ont été impliqués. Le gouvernement a invité les familles à faire preuve de plus de responsabilité mais il n’a guère donné de moyens ni indiqué de pistes. Le fait que ces adolescents violents soient majoritairement issus de familles monoparentales n’arrange rien.
On dit volontiers en Afrique qu’« il faut tout un village pour éduquer un enfant ». Beau proverbe mais qui sous-entend que les parents doivent partager leur charge éducative, ce qui ne va pas vraiment dans le sens de l’évolution de nos sociétés. Pourtant, il faut le dire et le répéter, la famille n’est pas une île au sein du dispositif social, elle en fait partie et a, envers lui, des devoirs. Et si le mot devoirs paraît inapproprié dans un univers mental où les droits dominent, c’est en partie parce que les citoyens, les parents, ne sont pas intégrés – ou mal – à la construction de notre monde social. Il est urgent d’impliquer davantage les familles tout d’abord dans le monde éducatif, mais aussi dans le monde médical, politique et social. Il y a là, pensons-nous, une des clés qui permettrait d’endiguer le phénomène d’ensauvagement de certains parents et, par voie de conséquence, de certains jeunes – qui deviendront eux-mêmes parents.
Jean-Pierre Rosa, auteur de l’Effraction de l’intime, Salvator.
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