Cette contribution étaye une expérimentation évoquée dans la Tribune du christianisme social.
La loi « grand âge » mise en chantier par les différents gouvernements de ces dernières années n’a jamais abouti. Le gouvernement actuel y a renoncé, annonçant des « mesures nouvelles en vue de renforcer la cinquième branche de la Sécurité sociale », (branche dédiée à l’autonomie) au sein du projet de loi de financement pour la Sécurité sociale (PLFSS). A suivre…
On peut s’alerter.
Les reportages sur le confinement des aînés en EHPAD durant la pandémie et la difficile gestion du virus dans ces établissements ont montré la délicate situation de ces établissements médicalisés dédiés à la grande dépendance. La récente publication du livre Les fossoyeurs a suscité une vague de réactions perplexes et indignées.
Le modèle de l’EHPAD atteint-il ses limites ?
Ces reportages et enquêtes montrent la fragilité de ce système.
Aujourd’hui, le maintien à domicile est certes privilégié avec un ensemble de dispositifs coordonnés autour de la personne ; mais lorsqu’il devient impossible pour les aidants de plus en plus épuisés au domicile, placés souvent dans un conflit de loyauté, l’entrée en EHPAD reste quasiment la seule solution.
Et le constat est alarmant. Les personnes dans la grande dépendance sont essentiellement accueillies en EHPAD : dans l’impossibilité de voir un parent rester à domicile, une famille se tourne soit vers le réseau des établissements privés si ses revenus sont confortables, soit vers les structures associatives souvent saturées : les moyens disponibles aujourd’hui dans les territoires sont plus ou moins insuffisants et correspondent mal aux besoins.
Y-a-t-il une innovation en France pour renforcer le domicile ou créer d’autres modèles d’organisation?
Le contexte actuel révèle avec acuité la fragilité du système et la nécessité de créer d’autres modèles de prise en charge du grand âge. Disons-le tout net : les lourdeurs administratives et le cloisonnement institutionnel ne sont guère favorables à la concrétisation de projets autres.
L’article 51 de la LFSS 2018 dédiée à l’innovation en santé dans la suite de la Concertation « Grand âge et autonomie » de 2019 offre un espace de créativité en lien avec le Ministère de la santé et l’Assurance maladie ; ce cadre accueille des projets expérimentés pour une période de trois ans sur certains territoires. L’objectif est d’évaluer leur pérennisation et leur élargissement à d’autres territoires : c’est le cas pour le DRAD (Dispositif renforcé de soutien à domicile) dans lequel Jean-Luc est investi en tant que médecin coordinateur et expert médical pour l’EHPAD Institut Claude Pompidou de la Mutualité Française.
Ce dispositif a pour objectif de permettre à la personne âgée de plus de 60 ans en perte d’autonomie (GIR 1 à 4) de continuer à vivre chez elle, dans un environnement sécurisé. Ces personnes acceptent le principe d’un accompagnement coordonné par un référent mutualiste (EHPAD du Centre Claude Pompidou à Nice), interlocuteur principal de la personne âgée et de son entourage.
Chaque accompagnement est construit sur la base d’une évaluation complète de la situation de la personne âgée, environnement compris, en tenant compte de ses souhaits et de ceux de ses proches aidants. Le dispositif comprend différents volets : aide à la vie quotidienne et soins, sécurisation du logement, gestion des situations de crise, activités sociales et de loisirs. Il assure la coordination renforcée de l’ensemble des actions. Cette organisation permet aussi un accompagnement des aidants en les soulageant de la coordination des interventions et en leur proposant des moments de répit.
Une évaluation médico-sociale permet de vérifier si une personne répond aux critères d’inclusion dans l’expérimentation. Par exemple Nadine, anciennement coiffeuse, présente une maladie neuro dégénérative avec des troubles du comportement et vit avec son époux. Très mobile, elle déambule et ne souffre d’aucun handicap physique. Son époux est dans le déni des conséquences de la maladie mais supporte de plus en plus mal la situation : on note chez lui un épuisement.
La gestionnaire de parcours, le médecin coordinateur et l’infirmière coordinatrice recueillent des éléments susceptibles d’évaluer la situation globale de la famille. Le dossier constitué sera présenté à la commission d’admission composée de l’équipe du DRAD et de l’EHPAD. Le médecin traitant est partie prenante de la décision et gardera un rôle central dans le parcours de soin de la personne incluse dans ce dispositif.
Un projet de vie et un projet de soin sont mis en place pour cette famille qui sera admise dans le dispositif. Les personnes ressources sont nombreuses : ASG (aides-soignants(tes) en gérontologie), psychologue, ergothérapeute, nutritionniste, service de téléassistance, médecin coordinateur. Un professionnel dédié assure le pilotage.
Nadine a pu participer à des ateliers à visée thérapeutique pour la stimulation de ses capacités cognitives. Des sorties dans le voisinage ont été organisées mais l’agressivité de Nadine vis-à-vis des autres habitants rendent ces sorties compliquées. L’ASG a constaté une dégradation de l’état de santé de Nadine tandis que son époux est dans un épuisement avéré. La proposition d’un séjour temporaire à l’EHPAD de l’ICP est faite à monsieur, qui l’accepte. Après trois semaines, Nadine est plus calme et son état général s’est amélioré ; son époux sort progressivement de son attitude de déni. Nadine et son mari ont bénéficié d’une sortie organisée au centre équestre par le DRAD et l’EHPAD. Monsieur a pu discuter avec d’autres accompagnants et s’est senti moins seul. Le retour au domicile a été facilité et à ce jour, les choses se passent le mieux possible avec la poursuite de l’accompagnement.
Cette situation montre qu’un accompagnement avec des objectifs et des actions bien adaptés au projet par une équipe pluridisciplinaire permet de poursuivre un maintien à domicile malgré une grande fragilité. La situation de crise a pu être régulée par l’équipe de l’EHPAD. On peut souligner la complémentarité des différents organismes entre eux. Le projet de coordination oblige les différents acteurs à ne pas rester uniquement côte à côte mais à s’articuler et à créer entre eux de nouvelles approches, ce qui n’est pas toujours confortable. Ce projet suppose une adaptation des équipes au changement, face aux représentations et à leur expérience professionnelle : en effet la définition des métiers du soin sont bousculés car dans ce cadre, il importe de redéfinir les missions comme celles des aides-soignants(tes) et infirmiers (ières) : elles diffèrent selon le contexte d’intervention en EHPAD ou à domicile. On note que les équipes engagées dans ce projet du DRAD sont sensibles à la reconnaissance de leurs compétences vis-à-vis des familles et vis-à-vis des autres professionnels.
Basée sur le décloisonnement et la coordination de l’ensemble des acteurs, ce dispositif repose sur une approche globale et systémique au service des patients, placés au centre. Elle permet une réduction des dépenses de santé en évitant des hospitalisations, des prescriptions inutiles : la coordination développe des bonnes pratiques qui sont sources d’économie.
L’évaluation de cette expérience portera sur un certain nombre de points :
– sa faisabilité : les acteurs de l’expérimentation ont-ils eu la capacité de monter et faire fonctionner le DRAD dans le contexte d’un territoire ?
– son efficience : le projet a-t-il atteint ses objectifs d’un accompagnement global, continu, renforcé de personnes âgées en perte d’autonomie souhaitant rester à domicile ?
– sa reproductibilité : cette expérience est-elle exportable dans des contextes différents pour donner naissance à un modèle systémique d’accompagnement global continu et renforcé des personnes âgées ?
– son modèle économique : est-il optimisé par rapport à l’organisation préexistante et est-il justifié au regard des résultats obtenus ?
A l’heure qu’il est, après un an de lancement, le DRAD de la Mutualité Française se montre comme un grand chantier porteur d’avenir, et dans la droite ligne du virage domiciliaire annoncé. Il développe des pistes réalisables pour des familles confrontées au problème de la dépendance et soucieuses du maintien à domicile de leur aîné.
D’ores et déjà, il apparaît comme un projet prometteur.
Pour le groupe Santé des SSF, Françoise et Jean-Luc Philip