Le monde d’après doit être fondé sur la coopération et la solidarité

Dans une France marquée par des fractures profondes, nous pouvions craindre que le Covid-19 renforce le « chacun pour soi » et le « tous contre tous ». Il y a bien eu des réactions à oublier comme les vols de masques et de gels hydroalcooliques, le non-respect des consignes de confinement, les voix dissonantes entre médecins ou politiques, le développement de thèses complotistes ou irrationnelles. Il y a, lancinante, la difficulté à protéger les populations les plus pauvres et les plus vulnérables.

Mais, aujourd’hui, ce que nous voulons retenir c’est l’engagement incroyable du corps médical et de ceux qui travaillent, souvent la peur au ventre, pour faire fonctionner le pays. Il y a aussi l’émergence de solidarités fortes, venant du plus profond de la société, souvent grâce à une utilisation nouvelle, très innovante, des réseaux sociaux.

Au niveau international, par contre, nous observons une image diamétralement opposée avec un degré élevé de suspicion entre les Etats, obnubilés par la gestion de leur opinion publique, et des prises de décisions unilatérales qui rendent difficile une réponse sanitaire coordonnée au niveau mondial et même, malheureusement, au niveau européen. On assiste à un protectionnisme inversé qui amène les Etats à restreindre, dans l’urgence, les exportations plutôt que les importations afin de conserver leurs ressources essentielles, notamment dans le domaine des masques, protections sanitaires et principes actifs.

Il est vrai que la chasse aux masques et aux principes actifs, produits aujourd’hui essentiellement en Asie, a quelque chose d’humiliant pour tous les pays riches. Ceci explique la résurgence de thèses anciennes sur la démondialisation et la relocalisation sur le territoire nationale d’activités dites stratégiques.

Attention ! Lutter contre les pandémies, tout comme d’ailleurs lutter contre le réchauffement climatique, c’est lutter pour un bien commun planétaire qui ne peut être mené que par la coopération, la transparence entre Etats et la mutualisation des moyens.

Penser que le Covid-19 peut être éradiqué dans un pays sans se soucier de ses voisins immédiats ni organiser un effort massif en faveur des pays moins bien pourvus sur le plan médical est juste illusoire puisque le virus peut ressurgir en provenance de pays qui n’ont pas réussi à le contenir.

On annonce la fin du capitalisme néolibéral mondialisé. Certes les dérives douloureusement constatées devront être corrigées sans faiblesse. Mais il ne faut pas regarder la mondialisation uniquement du point du vue des pays riches. Les 25 dernières années ont été une époque unique où, grâce à cette mondialisation, une partie de l’humanité est sortie de la pauvreté. Le mouvement a été imparfait, très inégalitaire, profondément injuste mais il est réel.

La mondialisation, ce n’est pas seulement la délocalisation des industries et la circulation des marchandises, c’est aussi la circulation des personnes, des idées et des services, toutes choses où l’Europe aurait beaucoup à perdre d’un protectionnisme généralisé.

Un repli derrière les frontières, fussent-elles européennes, n’est pas une option, ou alors il faudra accepter que le monde se fasse sans nous, voire contre nous !

A un niveau plus fondamental, qui peut imaginer que la lutte contre les pandémies, ou le changement climatique, puisse prospérer dans la suspicion et le protectionnisme généralisé, sans un renforcement des liens économiques, culturels, scientifiques entre les différentes parties du monde.

Comme le suggère le professeur Goldin de l’université d’Oxford, nous sommes aujourd’hui face à deux options :

  • soit sortir comme après la première guerre mondiale avec des institutions internationales de plus en plus faibles, la montée des nationalismes,
  • soit sortir comme après la deuxième guerre mondiale avec plus de coopération internationale, un plan Marshall et des institutions qui ont structuré la croissance mondiale pendant 75 ans comme l’ONU et le GATT (ancêtre de l’OMC).

Faisons-en sorte que le monde d’après Covid-19 soit fondé sur la solidarité et une coopération internationale renouvelée. Pour commencer, refusons la recherche de boucs émissaires (la Chine aussi a souffert dans son corps et chaque gouvernement a sa part de responsabilité dans la gestion de la crise).

Refusons aussi ce décompte journalier du nombre de morts par pays qui induit une forme de « Schadenfreude » (se réjouir du malheur des autres), alors qu’il faudrait insister sur la communauté de destin en rendant beaucoup plus compte, pays par pays, de l’engagement des personnels soignants et des actions souvent originales de solidarité.

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Laurent de Mautort, administrateur des SSF

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