Il y a bien longtemps – depuis la révolution française – que notre société s’est émancipée des idéaux tout prêts, façonnés par la religion ou par l’idéologie en matière de vie bonne ou de bonheur. Nous sommes tous d’accord sur le fait que chacun doit pouvoir atteindre « le bonheur » ou « la vie bonne » mais nous laissons à chacun, dans la limite du respect de la liberté de l’autre, le soin de définir lui-même ce qu’il entend par là et de poursuivre sa propre voie. Ce qui nous est donc commun, et qui doit être respecté par tous, ce sont les moyens d’y parvenir. Des moyens, autrement dit des ressources.
« Tout notre édifice social repose sur l’idée que nous devons tous, selon notre psychologie et nos convictions propres, pouvoir accéder aux ressources permettant la poursuite d’une vie heureuse. »
Comment répartir les ressources de façon juste – ou équitable – comment garantir dans cette perspective l’égalité des chances apparaît donc comme un impératif politique de tout premier plan, au même titre que l’ordre ou la sécurité. Ainsi, et de façon tout à fait logique, l’accès aux ressources qui permettent à chacun la poursuite de son propre bonheur est-il devenu la grande affaire de notre modernité tardive. L’attention politique, sociale et syndicale étant focalisée sur les ressources, le bonheur s’est peu à peu confondu dans nos esprits avec l’état de nos ressources. D’ailleurs si nous demandons à brûle-pourpoint à notre voisin s’il est heureux, il y a de fortes chances pour que celui-ci réponde qu’il a un bon métier, une famille, une maison, bref qu’il fasse état de ses « avoirs », donc de ses ressources, en ajoutant au besoin : « j’ai tout ce qu’il faut (ou je n’ai pas tout ce qu’il faut) pour être heureux ».
« Passant de l’être à l’avoir on en vient à vouloir mesurer le bonheur. »
Opération difficile à faire pour la famille ou la santé mais très simple pour la richesse. On s’attarde donc peu à peu plus volontiers à toutes les ressources quantifiables en argent.
Dès lors, une part toujours plus grande de notre univers social se monétarise. La marchandisation croissante de tous les domaines de la vie n’est pas seulement le lot d’un Occident capitaliste et néo-libéral, c’est aussi, en large part, la conséquence logique de notre choix très ancien en faveur d’une mesure du bonheur par l’état des ressources des personnes, – ou d’un groupe, voire d’un pays (C’est le trop fameux PIB .. et la nécessité vitale d’une croissance).
Le problème, assez évident, auquel se heurte une telle attitude face à la vie et au monde, c’est une concurrence de plus en plus grande entre les acteurs. Lorsque la croissance faiblit, qu’une partie de plus en plus grande de l’univers vital se monétarise et que les idéaux porteurs de sens (la nation, les croyances, la lutte des classes…) eux, se dé-monétarisent, la rivalité en vue de l’acquisition des ressources devient de plus en plus forte, de plus en plus visible.
L’épisode des Gilets jaunes est à peine en voie de s’apaiser sinon de se conclure que nous voyons émerger d’autres revendications du même ordre. Et il y a fort à parier que cette montée en puissance des rivalités d’acquisition risque de s’exacerber encore.
« La sauvegarde harmonieuse de notre maison commune pourrait bien être ce bien commun fédérateur, cette ressource ultime et régulatrice de nos cupidités. »
A moins que…
A moins qu’un idéal, commun cette fois, réellement universel, ne coalise les personnes. La sauvegarde harmonieuse de notre maison commune pourrait bien être ce bien commun fédérateur, cette ressource ultime et régulatrice de nos cupidités. Régulatrice en effet, car nous faisons système avec notre milieu économique, social et environnemental. Et tout est lié.
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Jean-Pierre Rosa, rédacteur des SSF
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