Retrouver le goût du vrai

Les fakenews, la désinformation, amusent ou font frémir, assurent la prospérité des réseaux sociaux, martyrisent une victime, décrédibilisent un parti politique, faussent des élections, Comment s’en protéger ? Articles, débats, projets de réglementations sévères abondent. N’est-ce pas aussi le temps de s’interroger sur ce qu’est la vérité et de retrouver le goût du vrai[1] » ?

Les exemples de désinformations et de mensonges d’État parsèment l’histoire. On se rappelle que, au début de ce siècle, l’Irak a été envahi par les États-Unis sous prétexte que le pays détenait des armes de destruction massives et d’y installer la démocratie. Avec leurs trolls, la Russie et la Chine répandent de fausses nouvelles pour affaiblir ou déstabiliser leurs ennemis potentiels ou déclarés. Plusieurs pays occidentaux font, sans doute, de même et se préparent à la guerre future qui se jouera en partie sur ce terrain.

L’intelligence artificielle donne les moyens de créer des avatars plus vrais que nature, de les faire dialoguer, d’acquérir une audience sur les réseaux sociaux, d’influencer en répandant de fausses nouvelles qui risquent d’autant plus d’être reçues qu’Internet en répondant à toutes nos questions et Chat GPT en pensant et écrivant à notre place nous évitent parfois, (souvent ?) l’effort de rechercher le vrai. Plus grave à long terme, l’IA risque de proposer « une troisième manière de connaître le monde qui ne serait ni la raison humaine ni la foi[2] » .

Nietzsche avait prévenu dès la fin du 19ème siècle : « … on peut prédire presqu’à coup sûr le cours que prendra l’évolution humaine : le goût du vrai va disparaitre au fur et à mesure qu’il garantira moins de plaisir ; l’illusion, l’erreur, la chimère vont reconquérir pas à pas, parce qu’il s’y attache du plaisir, le terrain qu’elles tenaient autrefois[3]. » Nous y sommes pourrait-on dire. Non, car sont toutes aussi inhérentes à l’homme, la curiosité, l’envie de trouver, la joie de comprendre. Alors prenons le risque de nous demander ce qu’est la vérité.

Pour Aristote, la vérité est la propriété d’une “proposition”[4] qui est dite s’accorder avec les faits ou énoncer ce qui est. Aujourd’hui, on se plait à qualifier la vérité : la vérité-correspondance, proche de la vérité d’Aristote, repose sur la correspondance entre une proposition et la réalité à laquelle elle réfère ; la vérité-cohérence se fonde sur la cohérence d’une proposition avec un ensemble particulier de théories et n’entre en contradiction avec aucune, mais ne représente pas nécessairement une réalité concrète du monde ; la vérité-contingente se dit d’une proposition qui ne peut être dite vraie ou fausse que par l’expérience.

De ces définitions, il ressort qu’une proposition est produite par des personnes (des savants, des sociologues, des médecins, des procureurs, des avocats ou des juges, des historiens, des journalistes et, bien sûr, tout un chacun), qu’elle est exprimée dans un langage et qu’elle est reçue, acceptée ou rejetée, considérée comme vraie ou fausse qu’elle soit en réalité vraie ou fausse. C’est dire que la vérité est un concept complexe impliquant production de propositions, langage qui les exprime et réception des dites propositions.

Pour les positivistes, le monde ne serait rien de plus que ce qu’en dit la science, les autres propositions n’étant qu’expression d’idées et d’émotions. S’y opposent ceux qui considèrent que les vérités dites scientifiques ne sont rien que des constructions conventionnelles pour répondre à des intérêts particuliers et circonstanciels[5]. Deux vues très peu fondées. La véracité d’une proposition peut se vérifier en reproduisant l’expérience sur laquelle elle est fondée. Mais, le plus souvent, une vérité est reçue comme vraie en fonction des sources qui l’accompagnent. D’où l’importance dans la transmission d’une proposition, d’utiliser un langage et des mots ayant un sens clair pour ceux qui les reçoivent et de citer ses sources. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle produit des affirmations sans source[6].

Ceux qui sont exposés à des propositions – c’est-à-dire chacun de nous qui lit, écoute, entend, voit – peuvent être subjugués par l’autorité de celui qui les émet, retenir celle qui les inquiète ou qui les rassure, mais le plus souvent préfèrent celle qui conforte leur intuition, ou celle qui ne les dérange pas. Les vérités du GIEC ne sont acceptées que lentement, et encore pas par tout le monde, et peinent à modifier les politiques gouvernementales, les stratégies des entreprises et les comportements de chacun.

Autre paradoxe qui éclaire ces comportements, le souci de ne pas être trompé pousse à chercher des motifs inavouables dans les études ou les discours officiels et, en même temps, à douter de la vérité elle-même. Ainsi, le désir de vérité enclenche au sein de la société un processus critique généralisé qui s’amplifie, privilégiant l’invective sur le débat, discréditant la parole scientifique et les institutions et sapant la confiance nécessaire pour qu’une proposition soit considérée comme vraie par ceux qui la reçoivent[7].

Il faut du courage pour retrouver le goût du vrai.

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[1] Etienne KLEIN Le goût du vrai, Tracts Gallimard, 2020.

[2] Cité par Arnaud LEPARMENTIER, Les chers perroquets de l’intelligence artificielle, Chronique Le Monde 28/02/2023.

[3] NIETZSCHE à propos de « L’avenir de la science » cité par Étienne KLEIN, opus cité.

[4] Ici et dans la suite du texte proposition est une affirmation, une assertion, une croyance, une pensée, un récit, un résultat…

[5] Voir E. Klein op cité section 10 La science dit-elle vrai ?

[6] D’après Gaspard KOENIG dans un article des Échos de février 2023

[7] Bernard WILLIAMS, Vérité et véracité, Essai de généalogie, Gallimard, 2006

Yves Berthelot

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