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Dossier La Tribune du Christianisme social
Après 149 jours d’audience, le verdict est tombé : Salah Abdeslam, l’unique survivant des attentats du 13 Novembre 2015 qui a fait 131 morts et plus de 431 blessés (dont 99 grièvement), est condamé à une peine rare : la réclusion criminelle à perpétuité incompressible. C’est la peine la plus lourde du Code pénal. Cinq autres accusés, qui n’étaient pas présents au procès et qui sont présumés morts, sont condamnés à cette même peine. D’autres enfin sont condamnés à des peines plus « légères », individualisées en fonction de la part qu’ils ont pris dans ces évennements abominables : perpétuité avec période de sûreté de 22 ans, 30 ans de prison, 18 ans de prison, 4 ans de prison. Aucun n’est acquitté. Le verdict est motivé dans un document précis, de 120 pages.
L’horreur des faits reprochés aux accusés est si évidente qu’il n’est pas nécessaire d’y revenir. Ce long procès a permis aux 2500 personnes physiques et morales qui s’étaient constituées parties civiles de comprendre un peu mieux ce qui s’était passé, de contribuer à établir la vérité, de se confronter à l’humanité des assaillants, au-delà de la monstruosité de leurs actes, de former un corps avec les autres parties civiles, de retrouver ainsi la vie, et de tourner symboliquement la page après presque 6 ans de cauchemars. Et c’est sans doute, au-delà des condamnations, l’essentiel. Les attentes de ces diverses parties civiles étaient différentes : certaines avaient un désir de vengeance, de voir les assaillants condamnés. D’autres considéraient que l’important était ce qui s’est passé lors de ce procès très digne, et étaient opposés à cette peine de perpétuité incompressible, considérant que c’était une mort lente. Mais qu’est-ce que cette peine? et quelle est l’anthropologie sous-jacente à une telle condamnation ?
La perpétuité incompressible est un peine de réclusion à perpétuité, sans possibilité d’aménagement de peine, avec une période de sûreté illimitée. Elle a été créée en 1994 dans le contexte de l’effroi provoqué dans l’opinion après la mort d’une petite fille de 8 ans, Karine, tuée et martyrisée par un récidiviste. Elle était au début réservée aux crimes sur des mineurs de moins de 15 ans comportant viols et torture : Pierre Bodein et Michel Fourniret y ont été condamnés. Elle a ensuite été étendue aux meurtres de personnes dépositaires de l’autorité publique (policiers, magistrats) et, en 2016, étendue de nouveau aux crimes terroristes. En 2013, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que, pour qu’«une peine perpétuelle demeure compatible avec l’article 3 [qui prohibe les traitements inhumains ou dégradants], il doit exister aussi bien une possibilité d’élargissement qu’une possibilité de réexamen » : la peine comporte désormais un ré-examen de la situation au bout de 30 ans, mais aucun des condamnés n’est encore parvenu à l’issue de cette période.
On peut comprendre la légitime demande sociétale de se protéger contre des personnes manifestement dangereuses, comme des pervers et des psychopathes, qui ont une probabilité très faible d’être en capacité de changer. Il faut signaler cependant ici que les neurosciences ont découvert, grâce à l’imagerie cérébrale, que même avec un « cerveau de psychopathe », des personnes pouvaient vivre une vie normale et être empathiques, suggérant ainsi qu’aucune donnée biologique ne condamne définitivement un être humain à être pervers.
Le cas de Salah Abdeslam est différent. Le rapport des psychiatres (un document de 35 pages) a établi qu’il n’est ni pervers, ni psychopathe, mais un être humain ordinaire enfermé dans un système totalitaire qui pense à sa place. Cependant, pour les experts psychiatres qui l’ont examiné à la prison de Fleury Merogis : « L’hypothèse d’une réhumanisation au prix d’un risque suicidaire n’est pas exclue, pas plus que n’est exclue celle d’un enfermement définitif dans l’armure totalitaire ». Il est donc possible que d’ici 5 ans, 10 ans ou 15 ans, Salah Abdeslam soit devenu un autre homme. Déjà, le procès l’a changé. La condamnation à la perpétuité réelle est sous tendue par une anthropologie qui postule, de manière implicite, que les personnes n’ont aucune possibilité de s’amender, de devenir autre, d’évoluer. C’est une anthropologie fixiste, postulant que chacun est condamné en fonction de ce qu’il est aujourd’hui. Cette position exclut toute espérance en l’autre. Ne serait-il pas plus approprié de proposer un ré-examen régulier de la situation, afin d’évaluer si les condamnés sont toujours dangereux ? et leur proposer un accompagnement pour favoriser ces changements ? Michel Foucault estimait en 1981 que « la véritable ligne de partage, parmi les systèmes pénaux, ne passe pas entre ceux qui comportent la peine de mort et les autres ; elle passe entre ceux qui admettent les peines définitives et ceux qui les excluent ». Il en est de même concernant la vision de l’Homme : la différence est entre ceux qui pensent que l’autre ne changera jamais, et ceux qui laissent une toute petite place à l’espérance.
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