Les disputes, les oppositions, les violences entre voisins ou citoyens d’un même pays comme les conflits entre pays ne se résoudront pas par l’uniformisation – les personnes et les cultures sont par essence diverses – mais en construisant un vivre ensemble basé sur les sagesses de l’humanité.
Au commencement les tribus vivaient entre elles et chacune avait peine à reconnaître les autres comme des groupes humains. Ainsi des Manouches, ce mot venu du sanskrit signifie l’Homme, l’être humain, ce qui laisse entendre que les membres de ce groupe ne considéraient pas ceux des autres groupes comme des humains. Ensuite, sont venus les échanges entre tribus puis le passage de l’endogamie à l’exogamie, premiers pas de l’humanité (1) , mais ce n’est qu’en 1527 que la Controverse de Valladolid reconnaîtra les Indiens d’Amérique comme des êtres humains.
Les échanges entre les groupes humains ont bénéficié aux uns et aux autres parce que les expériences acquises par chaque groupe étaient différentes, comme l’étaient les techniques et les visions du monde qu’ils avaient développées. La richesse de l’humanité vient de cette diversité des groupes humains et de leur capacité à communiquer et à coopérer. Pour communiquer, il faut écouter, comme le suggère le proverbe africain « Si tu parles à quelqu’un qui ne t’écoute pas, tais-toi, écoute-le ! Peut-être qu’en l’écoutant, tu sauras pourquoi il ne t’écoute pas (2) » . Coopérer permet aux parties d’un même corps de fonctionner ensemble comme le dit Saint Paul dans la première épitre aux Corinthiens (XII, 12-29) ou Bouddha dans le conte des cinq aveugles qui comprennent ce qu’est un éléphant en échangeant ce qu’ils avaient découvert en palpant chacun une de ses parties.
Au plan philosophique et spirituel, ce n’est qu’en 1945 que “les peuples des Nations Unies” ont osé proclamer ensemble « leur foi dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes (3)», proclamation fondée tout autant en sagesse qu’en rationalité. Ce long cheminement commencé lorsque Dieu dit « Faisons l’homme à notre image », Genèse 1, 26, passe par les paraboles des Évangiles et les enseignements de Jésus. Il passe aussi par la Charte du Maaden, 1236, qui affirme l’égale valeur des hommes : « Une vie n’est pas plus ancienne ni plus respectable qu’une autre vie, de même qu’une autre vie n’est pas supérieure à une autre vie »; par ces deux vers du poète persan Saadi qui appelle à la compassion,
« Toi que le malheur des autres laisse indifférent. Tu ne mérites pas d’être appelé Homme » (4)
par les philosophes européens et nord-américains du XVIIIème siècle et le Mahatma Gandhi « Tous les hommes sont frères (5)».
Tout ce beau chemin vers plus d’humanité s’est déroulé parsemé de cailloux et bordé de ronces. Les petits malheurs causés par les cailloux ont amené les sagesses populaires à des conseils de méfiance « Si tu achètes une vache, assure-toi que la queue est comprise dans le marché » ; de précaution « Un ennemi, c’est trop. Cent amis, ce n’est pas assez » ; d’acceptation de son sort « La chance et la malchance sont deux godets d’un même puits », de prudence « Ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse, ne l’impose pas aux autres ».
Les buissons d’épines – massacres tout au long des siècles d’hommes, de femmes et d’enfants – ont assez souvent fait, en réaction, franchir de nouveaux pas dans l’organisation du vivre ensemble tant au niveau national – nouvelle constitution, code civil – qu’international – Pax Romana, Traité de Westphalie, Société des Nations, Organisation des Nations Unies.
» […] il est plus que nécessaire de ne pas abandonner l’humain en cherchant à se réfugier sous la protection des algorithmes sécuritaires et de régimes autoritaires. «
Aujourd’hui, où les tensions entre blocs Est-Ouest, Nord-Sud et les progrès du numérique menacent de nous plonger dans l’univers de “1984” (6) , il est plus que nécessaire de ne pas abandonner l’humain en cherchant à se réfugier sous la protection des algorithmes sécuritaires et de régimes autoritaires. Il nous faut, au contraire, faire face ensemble aux trois défis mondiaux imbriqués que sont la détérioration de la biodiversité, le réchauffement climatique et l’impasse de la recherche du bonheur dans le consommer plus.
La pandémie nous a appris que nous pouvions changer d’habitudes avec l’espoir de revenir vite à la situation d’avant. Maintenant, afin de préparer demain, il nous faut trouver ensemble de nouvelles habitudes de bonheur. Là encore, les sagesses humaines viennent à notre secours :
« Le bonheur n’est pas l’aboutissement du chemin, mais le chemin lui-même » (7)
Yves Berthelot, ancien sous-secrétaire-général des Nations-Unis et membre du conseil de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT), rédacteur des SSF
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1. Roy LEWIS, The Evolution Man, or, How I Ate My Father 1960, publié en français en 1975 sous le titre Pourquoi j’ai mangé mon père. Une fresque amusante de l’évolution du monde.
2. Plusieurs des proverbes et citations faites dans cette Tribune sont tirés du dernier ouvrage de Jean-Joseph BOILLOT Utopies made in Monde, 2021, Odile Jacob, un livre fascinant qui brosse une histoire des utopies et des sagesses d’Afrique, d’Asie et d’Europe rassemblées au cours de ses lectures, de ses voyages et de ses rencontres avec des sages et des économistes d’aujourd’hui. Il se conclue par une proposition d’Économie de la sagesse.
3. Préambule de la Charte des Nations Unies
4. Abū-Muḥammad Muṣliḥ al-Dīn bin Abdallāh Shīrāzī, connu en Occident comme SAADI ,1210-1292, traduit par Farzine POURCYRUS, WIKIPEDIA consulté le 17/06/2021
5. D’après les œuvres de Mohandas Karamchand GANDHI, Tous les hommes sont frères : vie et pensées du Mahatma Gandhi, Londres 1953, Gallimard, folio 1992.
6. George ORWELL, 1984, Londres 1949, Gallimard, folio 1972.
7. LAO TSEU 571-531 avant Jésus Christ.