Lors d’un débat sur l’extension de la Voie Georges Pompidou, ou de sa réplique rive gauche de la Seine au cœur de Paris, le dessinateur sensible d’un grand quotidien avait reproduit la façade de Notre Dame, avec deux voies rapides qui permettaient aux voitures d’entrer dans notre cathédrale et d’en sortir. Un grand panneau sur la sainte façade marquait « PRIERE DE NE PAS KLAXONNER PENDANT LES OFFICES » ! Heureux clin d’œil à la coexistence nécessaire dans nos villes de la mobilité et du respect d’espaces dédiés, là à la vie spirituelle, ailleurs à la culture ou plus simplement à la rencontre. Aujourd’hui, sur les quais, la voie Pompidou est devenue espace festif l’été et surtout une voie réservée aux vélos et aux piétons. Ce n’est pas rien d’avoir su et pu nier ainsi un geste urbain aussi structurant, une autoroute urbaine, malgré la légitimité que lui donnait le nom d’un Président de la République.
Mais si la voie Pompidou a muté, notre vision de la mobilité reste marquée par les mesures de débits théoriques et par notre passion pour l’infrastructure.
Les peurs que font peser sur la fréquentation des transports publics urbains la crise sanitaire et les contraintes imposées aux usagers , la crainte que la « distance sociale » permise par la voiture individuelle ne se traduise en congestion urbaine inefficace et polluante, ont permis de donner une priorité étonnante à une évolution naissante : donner toute sa place au vélo et autres outils légers, motorisés ou non .Certes l’espace urbain nécessaire au déplacement en vélo se réduit au seul mètre carré nécessaire aux deux roues voire à la seule roue ; bien sur une piste cyclable est efficace et protectrice, les plats pays frugaux du nord de l’Europe nous le démontrent ; mais barrer les rues, les boulevards, les avenues, de blocs de béton et les zébrer de couleurs fluos pour isoler les vélos reste une réponse, sans doute liée à l’urgence, qui porte peu la marque de la nécessaire mutation des comportements. Il y a quelques années lors d’un effort pour diminuer à coup de sens interdits la circulation dans les rues tranquilles d’un quartier parisien, des habitants favorables au projet avaient dit en mairie qu’ils avaient compté, et qu’il y avait encore beaucoup trop de voitures immatriculées en banlieue qui traversaient leur quartier : aussi surement que les grilles qui délimitent les lotissements chics, les sens interdits et autres barrières peuvent permettre de rester entre soi.
Il s’agit de ne pas se limiter à gérer les flux, à spécialiser les routes, il faut réinventer la rue, celle ou piétons, deux roues, et véhicules motorisés, se croisent, se respectent. La camionnette de livraison et la poussette, comme les voitures et les bicyclettes doivent vivre ensemble. Cela s’appelle la qualité urbaine. L’urbanité ne se décrète pas, nous en avons mesuré la nécessité, elle a même cru pendant le confinement, elle doit être protégée, favorisée : la nécessaire évolution de la mobilité ne peut se réduire à des contraintes, à des infrastructures spécialisées, fusse au bénéfice des modes doux, acceptons tous de ralentir notre mobilité urbaine, pour « Refaire Société ».
Un certain désordre peut être créateur de lien, de richesse….
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Philippe Segretain, membre du Conseil d’administration des Semaines sociales