La montée des virus

La proximité temporelle de la contamination mondiale du Coronavirus et de l’affaire Benjamin Griveaux invite à réactiver la métaphore numérique du virus pour rapprocher des faits qui n’ont pourtant rien à voir l’un avec l’autre. Pousser la métaphore peut en efffet nous permettre de réfléchir de façon décalée et donc dépassionnée. Comment se prémunir de la nocivité de ces virus ? Et que disent-ils de notre monde ? Bien sûr comparaison n’est pas raison et autant le Coronavirus invite à l’action résolue en raison des vies en jeu, autant l’affaire Griveaux ne fait-elle que des morts « virtuels ».

Dans les deux cas cependant, on a un foyer infectieux qui permet la sélection d’une souche pathogène. Le marché de gros de fruits de mer à Wuhan pour le Coronavirus, le comportement « inapproprié » de l’ancien candidat à la Mairie de Paris de l’autre. Dans les deux cas encore on a un mode de propagation du à l’homme et aux réseaux de circulation qu’il a mis en place et une vitesse de propagation impressionnante. Dans les deux cas aussi, le virus affecte ceux qu’il atteint, provoquant ici une maladie, parfois mortelle, là quelques dommages directs – démission de Griveaux, réactions en chaîne dues à cette démission – et indirects – suspicion vis à vis des politiques et des medias, mise en cause du fonctionnement démocratique, méfiance vis à vis des « élites », renforcement d’une « société de la défiance ». On peut craindre, à terme, et si de telles attaques se répètent, un affaiblissement de la démocratie et un repli nationaliste pavlovien qui mène tout droit aux conflits internes et externes.

« La mobilisation est massive, mondiale »

Mais il faut aussi comparer les mesures prises pour résister à l’épidémie. Pour le Coronavirus, l’action est extrêmement rapide, énergique, et unanime. Les premières mesures sont radicales : isolement, arrêt de toute circulation autour des foyers infectieux, report d’événements populaires, quarantaines, recommandation de prévention (se tenir à plus de 1,5 m d’une autre personne dans la rue …). La recherche de la cause vient aussi très vite avec le séquençage du génome du virus qui permet d’affiner les mesures et de commencer les traitements, et, enfin, mais c’est plus long, de mettre au point un vaccin. La mobilisation est massive, mondiale. Elle met en jeu des sommes considérables, d’innombrables acteurs dans différents domaines et se réalise sans mettre en balance le prix à payer de ces mesures drastiques : essentiellement un ralentissement de l’économie chinoise et donc de l’économie mondiale. Si l’on investit aussi vite et aussi fort c’est parce qu’on espère que l’épidémie et ses répercussions seront passagères.

« Qui est en cause, au-delà de Griveaux et de ceux qui ont posté la video ? »

Pour l’affaire Griveaux – qui fait pourtant suite à d’autres – rien de tel. La recherche de la cause, outre la responsabilité de l’intéressé, est confiée à la justice. Depuis 2016 les propagateurs sont poursuivis et punis, mais l’arsenal juridique s’arrête là. Il n’y a pas d’arrêt du trafic sur Internet. Pas d’obligations faites aux réseaux, La même épidémie peut recommencer dès demain avec n’importe qui … Il n’y a aucune espèce de mobilisation pour arrêter un phénomène qui n’a rien à voir avec celui du « lanceur d’alerte ». Pas davantage de recherche des causes profondes ou secondes : pourquoi un tel phénomène se produit-il aujourd’hui ? Qui est en cause, au-delà de Griveaux et de ceux qui ont posté la video ? Un pays étranger ? Le numérique lui-même, tout au moins les réseaux sociaux ? S’ils s’érigent en juge, remplacent l’information, il faudrait en effet en juguler les effets et interroger leur fonctionnement (les algorithmes notamment). Mais qui le fera ? Avec quels outils juridiques respectueux du droit ? Il faudrait enfin, comme un vaccin, mettre au point, diffuser largement voire rendre obligatoire des formations à destination des jeunes (et des moins jeunes) qui permettraient d’apprendre à utiliser Internet et les réseaux sociaux, à comprendre les ressorts de l’économie de l’attention, à développer l’esprit critique sur le numérique.

Ces chantiers existent mais timidement. Ils méritent pourtant bien – toute proportion gardée – une attention comparable à celle que l’on investit dans la lutte contre le Coronavirus. Car à moyen terme, les dommages sont tout aussi grands : replis identitaires, montée des nationalismes, affaiblissement de l’Europe, moindre résistance à la propagande, d’où qu’elle vienne.

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Jean-Pierre Rosa, rédacteur des SSF

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