Tout au long de la crise sanitaire, la notion de santé publique a été invoquée par les voix les plus diverses, tandis que pour les gouvernants d’ici et d’ailleurs, elle justifiait des mesures estimées par certains comme attentatoires aux droits des citoyens. Dans ce brouhaha le citoyen, sachant mieux de quoi il ressort, peut-il être lui aussi un acteur de la santé publique, plutôt que se sentir « infantilisé» ?
Santé publique, quel périmètre ? Elle porte la double ambition d’étudier les facteurs de la santé d’une population d’un territoire donné, et de proposer des actions pour améliorer la santé de cette population, en fonction des constatations faites. Pour l’étude de ces facteurs, elle aura besoin de différentes pièces d’un puzzle : sociologie, anthropologie, démographie, épidémiologie, économie, hygiène publique… Il lui faudra explorer la logique de l’emboîtement des différentes pièces du puzzle. Les connaissances acquises deviennent un outil pour agir au profit de « la » population, un outil politique. Ainsi, il n’est pas neutre qu’en Seine St Denis, l’habitat et le statut par rapport au travail soient les déterminants majeurs de la mortalité par le Covid, loin devant l’état des structures de soins. La santé publique est un domaine de l’action publique, car l’art d’améliorer la santé, de prolonger la vie relève des efforts organisés de la communauté (1).
Les actions que la santé publique suscite par différents intermédiaires (planification familiale, éducation sanitaire, politiques sociales..) relèvent pour l’essentiel en France de choix politiques, tel que celui de protéger les plus vulnérables. Ces choix reflètent l’importance attribuée par une société à la vie humaine comme à celle des différents groupes qui la constituent.
C’est bien là que le citoyen, bravant la complexité de certains sujets, peut intervenir et ne pas se résoudre à des « fatalités », telle que la stagnation depuis 60 années d’un écart d’espérance de vie à la naissance de 13 années entre le haut et le bas de la pyramide socio professionnelle.
« Ou encore comment des mesures qui bénéficieraient particulièrement à des groupes de population peu favorisés risquent d’être privées de ressources suffisantes, du fait de la promotion d’actions pour la «santé » qui mettent en avant par exemple l’hôpital, le cancer, la génétique ou autres innovations techniques et médicamenteuses plus médiatisées ? »
Si les citoyens perçoivent la santé publique comme d’abord source d’actions privatives de leurs libertés, ne peuvent ils examiner aussi comment des mesures d’intérêt général sont dégradées par l’action manipulatrice de lobbies, par le biais de campagnes publicitaires qui minimisent l’impact de facteurs de risques ( tabac, alcool, alimentations transformées, conduite automobile…)? Ou encore comment des mesures qui bénéficieraient particulièrement à des groupes de population peu favorisés risquent d’être privées de ressources suffisantes, du fait de la promotion d’actions pour la «santé » qui mettent en avant par exemple l’hôpital, le cancer, la génétique ou autres innovations techniques et médicamenteuses plus médiatisées ?
Sans méconnaitre que la confiance dans la parole scientifique d’autorité a été mise à mal par la multiplicité des messages contradictoires émis par des personnes ayant la même autorité officielle, le citoyen peut il faire l’effort de rechercher une information « professionnelle », distinctes des réseaux sociaux ?
Conscients de la faiblesse de la santé publique dans notre pays et regardant ce qu’elle peut apporter à la situation des plus démunis, les citoyens français ne pourraient ils pas être l’aiguillon poussant le politique à sortir des contraintes de court terme et d’une course à l’innovation technique, pour favoriser des priorités même non directement médicales telles que l’amélioration de l’habitat ou une éducation de tous à la santé, qui ont un fort retentissement sur l’état de santé d’une population ?
Mathieu Monconduit, administrateur des Semaines sociales de France
Et pour approfondir le sujet, inscrivez-vous à la conférence-débat « La santé publique: citoyens, parlons-en » le 22 septembre 2021 à 19H15 (en ligne)
1. Cf Didier Fassin, leçon inaugurale chaire de santé publique au collège de France, Janvier 2020