Mi-septembre lors de la réunion élargie du Conseil des Semaines SSF, Thibaut de Tersant membre du Collectif « Projet Sens » présenta le texte paru en juin dans la ligne du rapport Notat-Sénard : « Du sens à l’ouvrage, comprendre les nouvelles aspirations dans le travail (1) » . Ce texte évoque notamment les individus cherchant le sens de leur travail à l’échelle personnelle, parfois en contournant les règles. Ce sens du travail qui suppose une cohérence entre ce qui se dit, ce qui se passe dans l’entreprise, et ce qui est attendu et vécu par le salarié.
Vint le temps du débat : il y a quatre-vingt ans dans « L’Enracinement » Simone Weil avait déjà dit ce besoin de sens, et il n’y aurait là rien de bien neuf. Effectivement des phrases de Simone Weil, écrites peu avant sa disparition et reprises dans ce « Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain » résonnent toujours : « Notre époque a pour mission propre, pour vocation, la constitution d’une civilisation fondée sur la spiritualité du travail…. La forme contemporaine de la grandeur authentique, c’est une civilisation constituée par la spiritualité du travail…Le mot de spiritualité n’implique aucune affiliation particulière. Les communistes eux même … ne le repousseraient pas (2) »
Un rappel émouvant. Les sociologues ont décrit l’ampleur de la crise du travail qui nourrit les tensions, les conflits sociaux et politiques. La mutation digitale a permis d’inventer, y compris dans les domaines des services à la personne, une forme de taylorisation : tout est mesurable. Un effort permanent, difficile, inventif, doit intégrer les tensions sociales et politiques, et les dynamiques techniques et culturelles, pour dire aujourd’hui la nécessité, et la possibilité, de dépasser le rapport économique et juridique qui encadre le travail, vers la participation à une œuvre commune.
Les professionnels engagés disent aujourd’hui les frustrations, l’ennui, les démissions, visibles ou cachées, et ils devraient dire l’aliénation, mot démodé qui reprend tout son sens au vu de ce que vivent des soi-disant micro entrepreneurs indépendants ; ils sont dans la nécessaire parole d’actualité. Et la gravité des émeutes que nous avons vécues ce printemps nous rappelle ce défi de faire du travail l’un des outils de la cohésion sociale.
Le rapport du « Projet Sens » souligne, aussi, le fréquent manque de cohérence entre les paroles et les actes. La communication des entreprises s’est enrichie de la prise en compte de plusieurs de nos attentes sur le travail, mais très vite la parole de certains de ceux qui lavent plus vert a perdu sa crédibilité. Et le mot de management peut apparaitre comme l’art de ne pas respecter la personne au travail. Il est donc important que des professionnels engagés rappellent aujourd’hui dans ce texte vision et contraintes pour modifier le lien au travail. Et qu’ils ajoutent l’importance de l’exemplarité institutionnelle, et la nécessité d’espaces partagés de débats sur le travail.
Dans les quelques lignes rappelées ci-dessus, écrites dans le chaos, Simone Weil se posait en philosophe, comme acteur du temps long. Les Trente Glorieuses avaient proposé leur vision de la valeur travail. Les analystes mesurent aujourd’hui les causes et les conséquences des revendications actuelles sur le sens du travail. Sur ce sujet – comme sur d’autres évoqués récemment – la prise en compte par les acteurs d’un temps court est absolument nécessaire. Le rapport présenté peut être un temps de cette réactivité.
Et nous, que faire ? Sommes-nous un réservoir de pensée ? Comme si la pensée sur des sujets mouvants tenait dans un réservoir. Nous sommes plutôt un espace où la force d’un ancrage spirituel et philosophique nourrit, dans un débat parfois difficile, analyses et propositions, qu’il convient ensuite de faire vivre dans les collectifs, professionnels sociaux ou politiques concernés.
Philippe Segretain, membre du Conseil des SSF.
(1)Jean-Baptiste BARFETY, Du sens à l’ouvrage, comprendre les nouvelles aspirations dans le travail, 2023, peut être déchargé gratuitement sur Internet www.projet-sens.fr
(2)Simone Weil, L’enracinement, Flammarion, édition 2014, p.163.
Ces articles peuvent aussi vous intéresser :