Une finance humaine

La finance solidaire internationale face aux défis du long terme et de l’humain.

La finance solidaire s’est développée à partir des années 1980 pour répondre à la fois aux besoins de financement de ceux que le système financier laissait de côté et au souhait d’épargnants prêts à sacrifier les revenus qu’ils pourraient tirer de leur épargne pour que celle-ci contribue au bien commun ou à des causes qui leur tiennent à cœur. Ainsi, se sont créées et développées des organisations financières privées collectant une épargne à caractère éthique mise sous forme de prêts et d’apport en capital à la disposition de petites entreprises, d’organisations de producteurs ou à des hommes ou des femmes, en particulier des chômeurs, pour développer des activités productrices de biens et de services(1).

Les organisations de finance solidaire font donc de l’intermédiation financière entre épargnants, publics ou privés, soucieux d’éthique et les personnes ou entreprises n’ayant pas accès aux financements conventionnels. Elles leur apportent, en outre, une aide technique en développant avec elles des outils de gestion et de contrôle. Il en existe dans de nombreux pays du Nord et du Sud. Chacun connait la Grameen Bank créée par Muhammad Yunus qui, à la fois, accorde des microcrédits à des personnes très pauvres et soutient des entreprises répondant à un problème social ou environnemental ; son Prix Nobel de la Paix en 2006 a honoré le développement de la finance solidaire dans les pays du Sud.

Cependant, les besoins des pays du Sud restent immenses et de nombreux déçus de l’aide publique au développement souhaitent contribuer à des actions qui soient guidées par la vision d’une économie humaine. Tout naturellement des organisations de finance solidaire internationales se sont créées qui contribuent au financement d’organisations de finance solidaires du Sud ou apportent directement leur concours à des projets éthiques. C’est, parmi d’autres, le cas de la SIDI (Solidarité Internationale pour le Développement et l’Investissement) créée en 1983 par le CCFD-Terre Solidaire et le Crédit Coopératif. Elle investit solidairement dans 35 pays et prête à une centaine d’acteurs de l’économie sociale et solidaire qu’elle accompagne dans leur action. Le Directeur de la SIDI, Dominique Lesaffre, a bien voulu partager quelques-uns des défis auxquels son organisation a à faire face.

« Le principal défi est celui d’accompagnateur en tant qu’actionnaire ou de prêteur à la fois pour bien saisir les besoins et prendre en compte des problèmes nouveaux. »

En d’autres termes, il ne s’agit plus seulement d’apporter des ressources financières pour des activités cycliques comme l’agriculture ou des activités de production industrielle et de commercialisation, mais de prendre aussi en compte l’interaction entre l’économie, l’environnement et le social. Les populations rurales ou vulnérables, qui sont les cibles privilégiées de la finance solidaire dans les pays du Sud, sont les premières victimes du réchauffement climatique comme des tensions sociales et politiques, autant de problèmes qui ne peuvent se régler qu’à moyen ou long terme. Or, ces populations sont avant tout préoccupées de gagner à court terme de quoi améliorer les conditions de vie de leur famille et ne voient pas toujours le sens d’affecter une partie des ressources disponibles à des actions de long terme. Pourtant, si les modes de production n’évoluent pas maintenant et les conflits sociaux ne sont pas pris en compte, si la transition écologique et sociale ne se fait pas, ces populations rencontreront encore plus de difficultés à l’avenir.

Aborder de tels enjeux demande beaucoup d’humilité et d’écoute ; et il faut, en effet, beaucoup de temps pour écouter, comprendre et trouver des solutions durables.

C’est pourquoi, la SIDI lie des partenariats de longue durée avec les organisations locales de finance solidaire et ne se désengage du capital des entreprises où elle a des participations que lorsque celles-ci sont sur de bons rails. Les ressources ainsi dégagées sont utilisées pour de nouveaux investissements solidaires.

Avec ses partenaires du Sud, la SIDI a ainsi expérimenté de nouveaux services : des produits financiers avec taux et conditions préférentielles pour favoriser l’émergence d’activités économiques durables ou pour l’achat d’équipements peu consommateurs d’énergie comme des lampes ou de pompes solaires ; des prêts aux femmes pour qu’elles deviennent actrices de l’Économie Sociale et Solidaire et assument des responsabilités dans leur communauté ou les entreprises dans lesquelles elles sont employées ; des financements pour sensibiliser jeunes et producteurs aux enjeux sociaux et environnementaux.

Plus difficile encore que d’amener des emprunteurs pauvres à se préoccuper de l’environnement est d’accorder des crédits dans des pays et territoires où l’insécurité est totale. C’est le cas, par exemple, des territoires occupés de Palestine où du jour au lendemain des paysans peuvent être privés de leur terre, ou l’artisan peut voir son atelier détruit ou ses produits interdits à la vente. Remarquable est dans ce cas l’accord négocié par la SIDI avec l’organisation Paix Juste (2) qui a accepté de garantir les emprunts de ceux dont l’activité pourrait être empêchée par la force. C’est un souci de l’humain que peut avoir la finance solidaire qui mérite d’être salué.

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  1. Pour en savoir plus : www.cours-gratuit.com › Cours finance › Cours finance solidaire
  2. Le Comité pour une Paix Juste est une association luxembourgeoise. Voir http://paixjuste.lu

Yves Berthelot

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