Construisons une économie humaine

Les Etats et les institutions internationales seules ne construiront pas une économie humaine. Il faudra que des millions d’initiatives en esquissent les contours. À chacun d’apporter sa pierre.

Il n’est pas de définition académique reconnue de l’économie humaine[1] . Pour le Père LEBRET, elle doit répondre aux besoins de chacun tout en préservant le bien commun qui, aujourd’hui, inclurait notamment l’environnement et le vivant[2] . Pour lui, les besoins se hiérarchisent entre besoins essentiels indispensables à la vie et à la santé, besoins de dépassement qui donnent sens à la vieadmirer, créer, inventer, partager -, besoins de confort et de facilité. Une telle « économie ne se réduit pas à un flux d’échanges, comme pour l’économiste libéral Hayek : elle concerne l’orientation de la vie des humains par une tension du désir vers l’accomplissement des biens singuliers et du bien commun »[3]

« Utopie ? »

Utopie, sans doute si l’on s’attend à ce qu’elle s’impose autoritairement par le haut. Mais, il est des milliers d’initiatives réussies qui portent des éléments d’économie humaine. Si ces initiatives se multipliaient, elles pourraient convaincre les citoyens, les entreprises et les politiques qu’une autre économie est possible qui réponde mieux aux attentes de chacun et les décider à construire les cadres d’une économie humaine pour la rendre pérenne nationalement et mondialement.

Prenons quelques exemples pour en esquisser le message principal[4] .

« C’est le début de la paix »

Des veuves musulmanes de Bosnie-Herzégovine, désireuses de retourner dans leur village après les violences des années 1990, vont trouver les veuves orthodoxes de leur commune et leur proposent de travailler avec elles à la culture de framboises et à la production de confitures qui sont exportées dans toute l’Europe ; c’est le début de la paix et de la vie à Bratunac.

Dans le sud de l’Inde, les Adi Andhras, une sous-caste des dalits[5], ont pour tâche l’assainissement et le nettoyage des déchets que laissent les hommes dans les rues, les bâtiments publics et les habitations privées. En 1984, le collège des Jésuites de Chennai, offre à quelques adolescents de cette communauté de suivre gratuitement un enseignement secondaire et incite leurs parents à s’organiser. Les parents créent Janodayam, au sein d’une association peu active et avec le concours des jeunes formés conduisent des grèves et font appel aux tribunaux pour que les éboueurs obtiennent le salaire auquel ils ont légalement droit et des équipements au lieu de devoir déboucher les égouts à mains nues. Justice leur est faite et ils retrouvent une dignité ; il existe aujourd’hui à Chennai un “Janodayam Centre for Social Education”.

En Uruguay, dans les années 1990, des femmes seules, fuyant les violences conjugales avec des enfants de tous âges, cherchent du travail à Montevideo où elles sont sans domicile. L’association qui s’est créée pour leur venir en aide, CEPRODIH[6], les écoute et se rend compte que leurs problèmes – travail, revenus, logement, santé, soins à leurs jeunes enfants et soutien à leurs adolescents – sont liés. Tout en leur en leur donnant une formation professionnelle et en les aidant à trouver du travail décemment rémunéré, CEPRODIH les incite à s’organiser et à s’entraider. Ces femmes retrouvent confiance en elles et développent des solidarités qui leur permettent de surmonter leurs problèmes.

Sur 10 hectares de friche dans la banlieue de Port Novo, Godfrey Nzamujo, un dominicain nigérian, aidé de six jeunes déscolarisés, creuse six bassins piscicoles. Avec pour tout capital 932 œufs de caille, 12 canards, 100 poulets, 10 truies et 20 ovins et caprins, il construit un modèle d’économie circulaire[7] , forme des entrepreneurs agricoles et développe un centre de “recherche aux pieds nus” qui est aujourd’hui en relation avec plusieurs universités en Europe et aux Etats Unis.

Les acteurs de centaines d’initiatives semblables sont des personnes qui tissent des liens avec d’autres personnes et qui recherchent le bien commun ; ils diffèrent en cela des individus de la théorie économique qui ne cherchent qu’à satisfaire leurs désirs et à maximiser leurs profits.

Eleanor ROOSVELT s’interrogeait : « Où commencent les droits universels après tout ?” et répondait « Ils commencent près de chez soi …. Si chacun ne fait pas preuve du civisme nécessaire pour qu’ils soient respectés dans son entourage, il ne faut pas s’attendre à des progrès à l’échelle du monde ».

La même logique s’applique parfaitement à la construction d’une économie humaine.

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Yves BERTHELOT, rédacteur des SSF

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  1. Ouvrages relatifs à l’économie humaine, André MORTAIN, Vers une économie humaine, Alexis Redier Editeur, 1934 ; plusieurs écrits de Louis Joseph Lebret ; Laurent LOTY, Jean-Louis PERRAULT, Ramón TORTAJADA (sous la direction de), Vers une économie humaine, Desroche, Lebret, Lefebvre, Mounier au prisme de notre temps, Editions Hermann, 2014.
  2. Louis Joseph LEBRET, L’ordre communautaire. Principes d’une économie humaine, Economie et Humanisme no 6, pp.169-179, Paris 1943.
  3. Hugues PUEL L’humanisme économique de L.J. LEBRET, in Développement et civilisations, no 428, 2015.
  4. Exemples tirés de Chemins d ‘économie humaine, Lourthosamy AROKIASAMY, Yves BERTHELOT, Andrés LALANNE, Lily RAZAFIMBELLO, Le Seuil, Paris, 2016.
  5. Dalit qui signifie opprimé en Sanscrit est une autre appellation des intouchables. Intouchables parce qu’impurs.
  6. CEPRODIH, Centre pour la promotion et la dignité humaine fut fondé en 1998 à Montevideeo et rayonne aujourd’hui en Amérique Latine.
  7. Economie circulaire : économie caractérisée par le recyclage systématique des déchets.

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