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Dossier La Tribune du Christianisme social
Ce samedi 2 avril 2022, j’ai été ordonné prêtre dans la Compagnie de Jésus, pour l’Église, pour le monde et pour toute la Création. A la sortie de la messe, quelques amis, chrétiens ou non, sont venus me voir pour m’interroger ou me féliciter de « l’impatience » qui avait été mentionnée rapidement au début de la célébration pour me présenter. « Impatience » face au temps que peut prendre notre conversion écologique, processus dont mes Supérieurs m’ont confié l’animation pour notre Province depuis Janvier 2021.
Ce Lundi 4 avril 2022, le troisième volet du rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) portant sur l’atténuation du changement climatique a été publié. Il faut respecter la complexité de cet immense travail de synthèse de près de 18000 articles scientifiques et inviter chacun et chacune à lire au moins le résumé du rapport pour les décideurs. Mais disons que le terme d’« urgence » à agir drastiquement ne serait pas volé. Ainsi les scientifiques affirment-ils que « Sans mesures d’atténuation urgentes, efficaces et équitables, le changement climatique menace de plus en plus la santé et les moyens de subsistance des populations du monde entier, la santé des écosystèmes et la biodiversité. » (D.1.1). Jim Skea, co-président du groupe de travail de ce troisième volet a d’ailleurs été encore plus clair : « Si nous voulons limiter le réchauffement climatique à +1,5°C d’ici 2100, c’est maintenant ou jamais. Sans baisse immédiate et radicale des émissions dans tous les secteurs, ce sera impossible ».
Le temps est donc à l’impatience comme un appel à l’action. Maintenant ! C’est exactement ainsi que quatre jeunes volontaires allemands terminait leur partage d’expérience avec plus de 150 personnes réunies à Loyola pour le Congrès de l’Apostolat Social et Écologique des jésuites en Europe. « Act Now ! ». Or, un point de blocage que je perçois régulièrement sur cette question d’urgence, c’est précisément qu’elle est perçue par deux générations comme de l’impatience de la part de la plus jeune génération. Le risque alors de voir la tension monter pour devenir conflit de génération est réel. Dans quel cas, chacun loupe sa cible, image employée par l’hébreu biblique pour parler du « péché ». Car pendant que les uns et les autres s’accusent d’inaction ou d’extrémisme, d’incohérence ou de pessimisme, le business-as-usual lui continue son chemin tranquillement, direction un monde à +3,2°C (C.1 du résumé du rapport du GIEC).
Alors, avant votre lecture du résumé du rapport du GIEC, ou après, ou pendant pour faire une pause, je vous propose de faire un pas de côté, en allant regarder et écouter le dernier clip de Camille Étienne. Jeune militante écologiste née en 1998, elle s’était fait connaître par une première vidéo de danse et de slam à la sortie du premier confinement appelée (déjà) « Réveillons-nous ». Le Monde en dressait alors le portait début 2021 en la qualifiant de « porte-voix « hypersensible et hyperactive » de la « génération climat » ».
Prenez donc le temps de regarder a seconde vidéo maintenant, peut-être en vous posant une des questions suivantes : « Quelles émotions me traversent ? », « De quelle génération me sens-je le plus proche à travers les trois femmes de cette vidéo ? », « Quel est le message clé, ou le message choc qui me reste à la fin de ce quart d’heure de contemplation ? ».
Pour ma part, j’en garde aujourd’hui trois échos. Deux phrases et une image :
1. « Ce n’est pas une bataille des Millenials contre les Boomers sur le ring du temps. C’est pas un combat de générations. C’est un combat qui fout le vertige, un combat de l’humanité toute entière pour sa survie, pour qu’elle n’entraîne pas dans sa chute le reste du monde vivant. » (13’26) Si la dimension de combat n’est pas niée, elle n’est pas orientée contre une génération ou l’autre, mais pour la Création toute entière. L’énergie de l’impatience se fait service engagé.
2. « On est des enfants, et on apprend » (11’39), à entendre avec « Je cherche pas d’excuse, de pitié ou de colère, mais de l’aide. On a besoin de vous. Vieillir c’est apprendre » (13’10). L’enjeu aujourd’hui est bien là : inventer ensemble un avenir dont nul ne peut prétendre déjà posséder la recette. Apprendre. Ensemble.
3. C’est cet « ensemble » qui me marque dans les images des deux couples dansant vers les deux-tiers de la vidéo (11’04-11’38), en particulier les deux générations qui dansent, se cherchent et s’enlacent et qui se trouve reprise dans le générique de fin (14’10-15’10).
Je contemple ces deux visages, je ressens au fond du cœur la beauté de cet appel à faire ensemble et en même l’immense défi qu’il représente. Alors j’entends la voix de Camille Etienne affirmer « j’en veux pas à ceux d’avant » (12’48). Je l’entends, et à l’aube de cette semaine sainte 2022, j’entends une invitation à faire un pas plus loin. Ne pas en vouloir à quelqu’un ou à une génération, c’est une chose. Pardonner en est encore une autre. Défi encore plus immense, et nous apprenons au prix fort en Eglise en ce moment que le pardon sans justice risque la mascarade spirituelle. Mais je crois qu’alors que nous allons rentrer dans le chemin de Passion du Crucifié Ressuscité, peut-être est ce là la grâce à demander pour nous et pour nos sociétés : que nous sachions pardonner, pour inventer ensemble et avec Dieu l’avenir qu’Il nous donne. Beau chemin à chacun et à chacune vers l’aube de Pâques !
P. Xavier de Bénazé, Délégué Laudato Si’-Écologie pour les Jésuites de la Province d’Europe Occidentale Francophone
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