Les peurs qui nous assaillent de la disparition de l’espèce humaine à une troisième guerre mondiale en passant par la fin de la civilisation occidentale ne sont pas des fatalités. Des réflexions de François Euvé en réponse à la question « La création s’est-elle arrêtée à la fin du 6ème jour ? » serviront de guide à cette Tribune.
Ce qui suit part de deux réflexions que François Euvé a partagées, en ingénieur et en théologien qu’il est, en réponse à la question « La création s’est-elle arrêtée au 6ème jour ?» comme le laisse entendre le récit de la Genèse[1]. Même si cette Tribune reprend beaucoup de ses idées, leur formulation et leur application à aujourd’hui ne sauraient lui être opposées.
Première réflexion livrée par la révélation et la théologie : Dieu a fait l’homme libre, libre de faire des choix dans la manière dont il utilise la création et la fait évoluer. L’homme participe donc à la création avec la possibilité de produire du bien comme de détruire. Et de fait, en travaillant la terre, en observant le fonctionnement des choses et des êtres, il a pu élaborer des théories, créer des machines, des objets et des œuvres d’art, modifier des plantes et des animaux par sélection et hybridation. Mais, il a, aussi, fait disparaitre des espèces animales, perturbé le cycle du climat et provoqué un réchauffement dont on mesure encore mal les conséquences. Un numéro de la revue Réforme consacrée au réchauffement climatique portait en couverture cette phrase terrible « Et Dieu n’y pourvoira pas » : signe que l’homme est bien libre et responsable de son destin.
Deuxième réflexion, inspirée de l’observation du vivant : la multiplicité des interactions entre les êtres vivants – hommes, animaux et plantes – les rendent interdépendants les uns des autres. Ces interdépendances sont extrêmement complexes et nous obligent à sortir de la vision mécanique du monde, qui permettait de faire des prévisions assez sûres pour un monde où Dieu était parfois présenté comme un grand horloger. Certes, les lois de la mécanique développée ces derniers siècles demeurent, en particulier celles qui ont permis en 2014 à la sonde spatiale Rosetta[2] de déposer Philae sur la comète Tchouri à des centaines de milliers de kilomètres de la terre et d’envoyer en 2021 le télescope géant James Webb observer depuis l’espace la formation des premières galaxies. Mais, les analyses individuelles et l’approche analytique de chaque être vivant ne suffisent pas à prévoir le résultat de leurs multiples interactions ni d’appréhender les mécanismes d’évolution de la biodiversité. La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, à Rio en 1992, avait signalé comme également préoccupants le réchauffement climatique et la détérioration de la biodiversité[3], malheureusement l’attention politique et médiatique a porté essentiellement sur le climat. Les mouvements écologistes rétablissent heureusement l’équilibre, mais ils prônent trop souvent des mesures qui tiennent mal compte de la complexité des interdépendances ou qui se heurtent à de puissants intérêts bien établis.
Dans ce contexte de liberté et d’interdépendance, chacun doit se sentir responsable de lui-même et des collectivités dans lesquelles il vit : sa famille, son village ou son quartier, son pays, l’humanité ou la nature. C’est d’abord une invitation à ce que chacun pense par lui-même et ne se contente pas de réactions instinctives ou suggérées par les réseaux sociaux et les influenceurs, une invitation à ce que chacun réfléchisse à l’impact de ses actes et de son comportement sur les collectivités où il vit. C’est aussi une invitation dans chaque collectivité, à ce que les membres qui la composent pensent et réfléchissent ensemble selon leurs talents pour comprendre leurs interdépendances, trouver des réponses à leurs problèmes et les moyens de façonner un futur plus juste, équitable et pacifique. Penser et réfléchir ensemble, c’est échanger des idées et en débattre et, tant mieux, si la collectivité est grande et diverse car la diversité des expériences est créatrice.
Si le futur n’est pas écrit, il ne s’écrit pas sur une page blanche. La Déclaration universelle des droits de l’homme[4] (complétée par les Pactes sur les Droits économiques, sociaux et culturels et sur les Droits civils et politiques), même si elle est rejetée par les dirigeants des dictatures et autres régimes autoritaires, demeure le texte le plus communément accepté par les peuples de la planète auquel nous référer quand nous méditons sur l’impact que nous avons et sur les principes à respecter pour construire le futur. Que faisons-nous pour que ces droits soient respectés ? L’examen de conscience est rude, il peut être stimulant.
[1] Il s’agit d’un Entretien à Saint Jacques du Haut-Pas le 21 janvier 2021. François Euvé est l’auteur de Théologie de l’écologie, une création à partager, éditions Salvator, Paris, 2021.
[2] Rosetta est le nom de la sonde spatiale envoyée par l’Agence spatiale européenne en 2014 pour déterminer la composition de la comète Tchourioumov-Guérassimenko (surnommée « Tchouri »). Celle-ci s’est révélée composée à 40% de matières organiques.
[3] Voir sur Internet le texte de la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies.
[4] https://www.un.org › universal-declaration-human-rights ; https://www.ohchr.org › pages › cescr ; https://www.ohchr.org › pages › ccpr