Convention citoyenne pour le climat : repenser les imaginaires

La Convention citoyenne pour le climat était appelée à rendre ses suggestions pour lutter contre le réchauffement climatique. Tirés au sort il y a six mois, les 150 citoyens de tous types et toutes classes confondues ont rendu des propositions chahutées par certains commentateurs sceptiques. Leur légitimité est contestée, leurs positions jugées « aberrantes » ou « irréalistes ». Allons voir chez le penseur Jacques Ellul, grand maître à penser de nombreux chrétiens, si de telles accusations sont fondées.

Dans la majeure partie de son œuvre à caractère économique, et particulièrement dans Pour qui, pour quoi travaillons-nous ?, le philosophe Jacques Ellul tient que la révolution sociale et écologique est nécessaire. Ellul se définit lui-même comme socialiste « malgré l’erreur perverse des révolutions léniniennes et maoïstes », mais c’est qu’il tient les déclarations d’intention du socialisme pour bonnes en elles-mêmes : à savoir « la fin du prolétariat, la fin de l’aliénation, la libération de l’homme ». Pour l’anarchiste et théologien chrétien, plusieurs éléments sont nécessaires à la réalisation de ce qu’on pourrait appeler un « socialisme technocritique. », c’est-à-dire un socialisme qui ne cherche pas la libération des travailleursau seul moyen de la machine.

Voici ici trois éléments nécessaires à la réalisation de ce « socialisme » ellulien, et l’on verra, au passage, que les propositions des 150 tirés au sort ne sont pas, elles, tirées par les cheveux.

  • Le premier point de cette révolution technocritique exige une reconversion totale de « la puissance productrice du monde occidental. » Qu’est-ce que cela signifie ? Pour préserver les équilibres environnementaux et sociaux, il faut aider gratuitement les pays du Tiers Monde et leur offrir une aide de subsistance, ayant suffisamment considéré que « l’Occident produit trop et le que le reste du monde est dans le manque. ». C’était vrai il y a 50 ans, au moment où Ellul l’écrivait, cela l’est devenu davantage alors que les fractures se sont accrues. Cet effort collectif trouve une résonnance dans les propositions de la convention citoyenne, qui insiste pour répartir suffisamment les richesses : « Les entreprises qui distribuent plus de 10M€ de dividendes annuels participeront à l’effort de financement collectif de la transition écologique, à hauteur de 4 % du montant des dividendes distribués, chaque année ». S’il s’agit ici uniquement des entreprises françaises, le principe peut s’appliquer à l’échelle européenne -puis mondiale- via des accords globaux (propositions déjà suggérées et parfois mises en place lors des COP précédentes). Principale difficulté : convaincre tous les Etats d’adopter une stratégie non-offensive.
  • Cela tombe bien,le second point se rattache au choix délibéré de la « non-puissance. » Pour Ellul, la non-puissance s’exprime dans le refus du « contrôle social » engendré par le déploiement des technologies. Cela pouvait paraître « catastrophiste » ou « alarmiste » il y a 50 ans. C’est une réalité que plus personne, ou presque, n’interroge aujourd’hui. A l’inverse, Ellul déclare que nous devons rechercher la création de petites unités de production qui, par leur struc¬ture même, échappent au contrôle technologique. En clair, il faudrait être capable de construire son téléphone portable, son ordinateur, et d’abandonner le tout-numérique dans l’espace public. Comment y parvenir ? La convention citoyenne propose ni plus ni moins de « Réguler la publicité pour limiter fortement les incitations quotidiennes et non choisies à la consommation ». Cette proposition disposerait, de facto, tous les citoyens à choisir leur propre circuit de fabrication et à court-circuiter ceux des grands industriels.
  • Troisièmement, les citoyens avaient suggéré le passage à la semaine de 26 heures. « Réduire le temps de travail sans perte de salaire dans un objectif de sobriété et de réduction de gaz à effet de serre (28h) » Proposition finalement rejetée à 65%, elle est considérée comme une folie pour les libéraux de tous poils, mais elle s’imbrique en réalité dans les propositions précédentes. Jacques Ellul (il proposait plutôt 20heures hebdomadaire) considérait que la réduction du temps de travail salariée était possible à certaines conditions. Selon lui, si les fruits de la production sont intelligemment répartis, il est inutile de mettre en place un salaire universel. Cela suppose, en revanche, que ce qui est produit soit strictement nécessaire. Des « biens de base, élémentaires, utilitaires et répondant à des prix modiques aux besoins courants, sans rechercher la performance, le gadget, ni la fabrica¬tion artificielle de besoins nouveaux par la publicité. » Tiens, cela ressemble fortement à cette idée de 150 citoyens de « mettre en place des mentions pour inciter à moins consommer. », non ?

Si toutes ces propositions peuvent nous sembler « utopiques », elles ont le mérite de renverser l’imaginaire consumériste qui, lui, est peut-être le plus idéalistes des imaginaires.

On s’y met ?

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Paul Piccarreta, directeur de la revue Limite

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