Pour une année « intranquille »

« Nous, les intranquilles ». C’est le magnifique titre d’un film réalisé par Nicolas Contant avec le groupe cinéma du centre Artaud autour de la maladie psychiatrique, de la folie. Un titre que l’on a envie de rapprocher d’une phrase du pape François dans la Joie de l’Evangile (2013) : « une foi authentique – qui n’est jamais confortable et individualiste – implique toujours un profond désir de changer le monde, de transmettre des valeurs, de laisser quelque chose de meilleur après notre passage sur la Terre. Nous aimons cette magnifique planète où Dieu nous a placés, et nous aimons l’humanité qui l’habite, avec tous ses drames et ses lassitudes, avec ses aspirations et ses espérances, avec ses valeurs et ses fragilités ». Intranquille, inconfortable.

Dieu sait que les propos du pape ne sont pas « confortables » à entendre. Si peu « confortables » ses appels répétés à accueillir les réfugiés et les migrants. Si peu tranquille la radicalité de ses interventions sur une économie ultralibérale qui ne respecte pas la dignité des travailleurs, sur une surconsommation qui met à mal la survie de la planète, ou sur les armes nucléaires… Guère confortables non plus, ses messages sur la dignité de chaque vie. Et dérangeantes ses paroles sur un christianisme « mondain », en représentation, trop éloigné des périphéries. Et exigeant son obsédant souci de miséricorde.

Le monde autour de nous est en profonde mutation. L’Europe elle-même dont nous aimons le projet cherche sa voie : nous l’avons explorée lors de la dernière session des Semaines sociales de France en novembre et nous vous invitons à prolonger la réflexion pour contribuer au débat citoyen sur l’avenir de l’Union Européenne. Les réformes économique et sociales engagées en France, conformément aux promesses électorales du gouvernement actuellement aux commandes, nécessitent une constante vigilance afin qu’elles respectent pleinement le droit des personnes et la solidarité de tous avec tous. Les projets de refonte des lois de bioéthique seront préparés par des débats en région : comment s’y faire entendre dans le souci des personnes les plus fragiles de notre société. Citoyens, chrétiens ou non, il nous faut sur tous ses dossiers, nous informer, nous former, comprendre comment conjuguer le bien de tous et le respect de chaque personne.

Tout au long de son histoire, les Semaines sociales de France se sont donné cet objectif ; il est plus que jamais d’actualité. Avec le réseau des Antennes régionales, en ayant soin de nouer le dialogue avec tous, non croyants ou autrement croyants, nous continuerons à creuser ce sillon. Cette année, nous mènerons une réflexion particulière sur ce que l’on appelle le christianisme social dont se réclament les SSF. Comment s’engager aujourd’hui dans la société, nourrie de sa foi chrétienne ? Que nous dit la doctrine sociale de l’Eglise sur les évolutions du monde ? Que recouvre précisément le champ du « social » ? Qui sont les nouveaux acteurs de cet engagement, ceux que nous ne connaissons pas ou qui ne nous connaissent pas ? Comment allier nos voix et nos forces, sans prétendre gommer les différences d’approche ? Et, ce que nous voulons dire, comment le dire autrement, avec les mots et les outils d’aujourd’hui, sous des formes qui peuvent parler aux plus jeunes générations ? Pour les SSF, des mois intranquilles s’annoncent donc.

Nous avons la conviction que cela vaut la peine. Les « drames et les espérances » de nos contemporains (où l’on retrouve les premiers mots de la Constitution conciliaire Gaudium et spes) méritent notre engagement pour que ce monde soit plus vivable, plus habitable, plus juste, plus fraternel.

Emplis d’espérance, oui ; indifférents, indolents, sûrement pas. Bonne année inconfortable !

Dominique Quinio

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