Pollution et réchauffement climatique, pauvreté et exclusion, robotique et techno-sciences : « tout est lié » dit le Pape, et tout est dans le chaos sans un projet nouveau global et volontariste.
Combien il a raison ! Les « logiques » actuelles anti- crise sont contradictoires. On veut préserver ou créer des emplois, on décide davantage de rentabilité et de compétitivité des entreprises, rien de mieux pour cela que de robotiser les activités, mais de ce fait : destruction d’emplois ! Avec sagesse François rétorque : « On ne doit pas chercher à ce que le progrès technologique remplace de plus en plus le travail humain, car ainsi l’humanité se dégraderait elle-même » (§ 128). Veut-on activer la transition énergétique ? Oui mais ne risque-t-on pas d’aggraver la précarité énergétique des plus pauvres au sein d’une nation ? Veut-on aider les pays les plus pauvres à s’engager dans les énergies renouvelables grâce à une partie des « crédits carbone » ? , mais « cette stratégie donne lieu à une nouvelle forme de spéculation » (§ 171).
Les analystes traditionnels travaillent à la fragmentation des arithmétiques : arithmétique des gaz à effet de serre, à côté arithmétique de la dette, de la croissance, du chômage, à côté encore arithmétique des données numériques (§47), etc. Et quand on y pense, on tente de concilier ( vainement) ces arithmétiques. François, lui, en appelle à une conversion à l’écologie intégrale. Il interroge la qualité de l’âme humaine. La griserie des pouvoirs technologiques et économiques nous conduit à détruire la planète, à exclure les perdants de cette course à la volonté de puissance, à augmenter les potentialités humaines par le numérique et la robotique…à l’infini, mais rien en ce monde n’est infini.
L’écologie intégrale est un autre mode de consommation (économie de la fonctionnalité, économie circulaire), un autre mode de production (économie collaborative des foyers à énergie positive § 179), à un autre mode de vie centré sur la recherche du bien commun et de la dignité de la personne. L’originalité de François est de mettre en évidence la spiritualité de cette écologie qui, entre autres, nous délivre de l’anthropocentrisme, de l’égoïsme, de l’individualisme par le « sortir de soi vers l’autre » § 208 (vers Dieu, vers les autres, vers la nature), cette formulation joyeuse de l’amour qui revient sans cesse dans l’Exhortation précédente du Pape : « La Joie de l’Evangile ».
Pour l’heure la situation est fermée : la politique est soumise à l’économie, elle-même soumise au diktat des technologies (§189). L’ouverture se fera plutôt au niveau local, sous la pression des populations. Quoi qu’il en soit, le « sortir de soi vers l’autre » s’effectuera par le dialogue. Nous ajoutons, si on nous le permet : un dialogue pour un nouveau contrat socio-culturel. Contrat en filigrane car ce n’est pas à l’Eglise de l’élaborer.
Le ton est radical : « Il ne suffit pas de concilier en un juste milieu la protection de la nature et le profit financier(…). Les justes milieux retardent seulement un peu l’effondrement » ( § 194). Aristote n’aurait-il plus la côte ?
« Laudato si » est excellent ; ne nous contentons pas d’applaudir quand le texte papal rejoint ce que nous pensions déjà plus ou moins. Laissons-nous surprendre par les « choses nouvelles » comme la suggestion d’une décroissance relative des pays riches pour aider les pauvres, ou (dans un autre contexte) par l’idée qu’ « aujourd’hui l’Eglise ne dit pas seulement que les autres créatures sont complètement subordonnées au bien de l’homme », elles ont une valeur en soi (§ 69).
Bernard IBAL,
Vice- Président des Semaines Sociales de France.