L’urgence d’une pratique chrétienne de la politique

Le nationalisme religieux revient en force en Europe. « La fin du communisme a surtout signifié le recouvrement de la nation. Au nom de l’identité nationale, on s’oppose à l’immigration, surtout si elle est musulmane, et on refuse la redistribution des réfugiés telle qu’elle est prévue par l’Union européenne » explique l’historien et fondateur de Sant’ Egidio, Andrea Riccardi[1] dans son dernier essai paru en France.

Cette politique nationaliste est défendue à l’est de notre continent par les gouvernements illibéraux hongrois et polonais. Elle se caractérise par une récupération de type néo-maurassien de « valeurs » catholiques brandies au nom de la défense de « la civilisation chrétienne » menacée de décadence morale et d’intrusions étrangères. Ce discours a des correspondances avec les harangues contre l’Europe de Vladimir Poutine et de Kirill, le patriarche orthodoxe de Moscou : pour eux l’invasion de l’Ukraine se justifie pour protéger la Russie de sa contamination par les mœurs dépravées de l’Occident.

Ce nationalisme religieux, ou ce « national-catholicisme » comme l’appelle Riccardi, progresse aussi à l’ouest de l’Europe. Ce courant est représenté en Italie par Giorgia Meloni, quadragénaire nostalgique de Mussolini. Sa coalition de partis de droite et d’extrême droite a obtenu 43% des suffrages lors du scrutin du 25 septembre dernier. Victorieuse et probable cheffe du prochain gouvernement italien, elle avait fait campagne avec ce slogan : « Je suis une femme, une mère, une Italienne, une chrétienne ». Le « national-catholicisme » s’avère être une recette électorale payante, même au pays d’accueil de la papauté!

En France, les tenants de ce courant nationaliste sont principalement Eric Zemmour, Philippe de Villiers et Marion Maréchal-Le Pen. Avec la complaisance de certains médias, ils ont imposé leurs thèses sécuritaires, xénophobes et anti-européennes pendant la campagne présidentielle. Mais ce tapage n’a pas suffi à qualifier l’ancien chroniqueur polémiste au second tour de l’élection ni même ensuite à le faire élire député. Pour autant, son parti « Reconquête » bénéficie de relais d’opinion et de soutiens importants, dont celui de l’homme d’affaires Vincent Bolloré : catholique traditionaliste affiché, il est aujourd’hui à la tête d’un des groupes médiatiques les plus puissants de France.

Cette « remontada » du nationalisme religieux et son pouvoir d’attraction sur des portions considérables de la population catholique, ne peut laisser indifférents et inertes des héritiers du Sillon, du personnalisme chrétien et des pères fondateurs de l’Union européenne. Si les conférences épiscopales, par respect du pluralisme d’opinion, conscientes aussi de leur perte d’influence, n’interviennent plus dans le champ politique, rien n’empêche une opinion publique catholique, laïque et citoyenne, de s’exprimer. Pour rappeler par exemple, que la magistère depuis Pie XI, considère que le nationalisme est le contraire – ou l’abus – de l’amour légitime de la patrie. « La négation du patriotisme, c’est le nationalisme » écrivait Jean-Paul II à l’archevêque de Sarajevo en 1993. Mais comme on l’a vu en Italie, cet argument fait chou blanc !

Que faire ? Peut-être faut-il s’attaquer directement aux racines du problème. La gravité du moment historique que nous vivons incite à redonner actualité et vigueur à l’idée que se fait de la politique la Doctrine Sociale de l’Eglise. Elle s’appuie sur un postulat fondamental: il n’existe pas « une » politique chrétienne. Le faire croire est un mensonge, une mystification. L’Eglise ne propose pas de modèle de société unique et préfabriqué. Elle reconnaît une pluralité d’options et d’engagements partisans. Par contre, elle revendique hautement une pratique chrétienne de la politique[2] : celle-ci consiste pour l’essentiel à relativiser l’importance de la politique, à ne pas idéologiser la foi, à respecter l’adversaire, et à chercher des solutions, des compromis équitables plutôt que d’attiser la division, la haine et la violence.

« Une même foi chrétienne peut conduire à des engagements différents, dont toutefois chacun doit vérifier l’authenticité. »[3] Autrement dit, il est peut-être indispensable, urgent même, de proposer aujourd’hui à des chrétiens de sensibilités démocrates diverses, des temps et des lieux de respiration spirituelle, de formation et de discernement. Le climat de conflictualité devenu quasi permanent, entre les idées et surtout entre les personnes, appelle à prendre au sérieux les préconisations de la Doctrine Sociale. Ce pourrait être là pour les Semaines Sociales de France un chantier à relancer. Une manière aussi de défendre une certaine idée de la politique, au service de la nation, de l’Europe et non du nationalisme.

Michel Cool, administrateur des SSF

[1] Andrea Riccardi, L’Église brûle. Crise et avenir du christianisme, Cerf, 2022.

[2] Cf. « Pour une pratique chrétienne de la politique », Conférence des évêques de France, 1972.

[3] Paul VI, Lettre au cardinal Roy, 1971 sur la responsabilité politique des chrétiens.

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