Le virus, et l’étirement du calendrier électoral ont bon dos: l’abstention de 60% des électeurs, nos concitoyens, au deuxième tour des élections municipales, ne peut être traitée comme un simple dysfonctionnement, vite occulté par l’analyse des résultats. « Crise de confiance, affaiblissement de la représentation territoriale … » commentent sobrement les experts. Jean Luc Mélenchon est plus acide : « …Une forme d’insurrection froide, une grève civique » Ce mot grève doit être pris au sérieux, car si le mot abstention semble rimer avec négligence, oubli, inattention, le mot grève fait bien référence à une décision politique : celle de ne pas aller voter.
L’abstention aux élections européennes avait été mise sur le compte du manque de connaissance du rôle du Parlement Européen. Mais la crise sanitaire a permis aux élus locaux de montrer et leur capacité de mobilisation et la pertinence de leur action; et pourtant, à quelques primes au sortant près, le dé-confinement bien géré n’a pas amené plus de la moitié des électeurs à venir choisir ceux qui vont gérer nos communes et nos intercommunalités pendant six ans. La diversité, parfois la multiplicité, des candidatures ne permet pas, sauf exception, d’expliquer ces refus de vote par le caractère trop restreint des choix. Alors la démocratie représentative serait-elle caduque quand le débat public est nourri de la participation populaire sous des formes spontanées, hors de toute institution, parfois violentes, comme les Gilets jaunes, ou sous des formes plus « conformes », comme la Convention Citoyenne ? Il faudra bien sûr travailler l’éventuel retour à des principes démocratiques dans la décision quand le peuple a manifesté ou proposé.
Mais cette éventuelle complémentarité entre démocratie représentative et démocratie participative est très insuffisante ; nous devons d’abord prendre en compte ce que nous savons des abstentionnistes : classe d’âge, classe sociale… Même si ce mot n’est plus politiquement correct : les analyses vont détailler le fait que, en moyenne, électeurs et abstentionnistes n’ont ni le même âge, ni les mêmes caractéristiques en termes culturels, professionnels, et en termes de niveaux de vie.
Des Français jeunes, et des Français qui souffrent ou qui peinent ne se sentent pas citoyens.
Ce constat nous interpelle, nous, chrétiens engagés, quelle que soit notre couleur politique : nous travaillons à nous comprendre, à nous convaincre mutuellement, et sommes heureux de la qualité de nos dialogues. Certes le vieillissement de nos associations nous préoccupe, pour la pérennité de celles-ci, mais aurions-nous occulté l’essentiel : l’affaiblissement de la conscience citoyenne ?
L’abstention est regrettée, et nous savons faire sentir à l’abstentionniste notre réprobation, et puis les politiques ont des comportements tellement facile à brocarder, mais le sujet est ailleurs : nous, militants, avons-nous su entendre, comprendre tous ceux qui refusent d’entrer dans le débat public que nous privilégions ? En novembre nos Rencontres doivent nous permettre de nous engager sur « Une Société à reconstruire », et un atelier travaillera la dimension locale de ce travail sur la cohésion sociale: « territoire et démocratie locale ».
L’abstention, ce nouveau et grave signal du délitement de la cohésion sociale nous oblige : prenons les moyens d’inviter, d’entendre, de comprendre, ceux qui se sont exclus de nos pratiques démocratiques, faute de quoi nos engagements perdront beaucoup de leur légitimité.
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Philippe Segretain, membre du CA